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Le Grand Coeur

Le Grand Coeur

Titel: Le Grand Coeur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Rufin
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mauvaise fortune qui
leur avait fait mettre la main sur des gens de peu.
    Cette simplicité qui confinait parfois au dénuement
me plaisait. J’aimais cette légèreté qui me faisait prendre
la route sans bagage. L’écheveau de plus en plus emmêlé
de mes affaires exigeait des soins constants. J’étais en
quelque sorte au service de ma richesse, comme on peut
l’être d’un bel animal auquel on réserve toutes ses attentions, pour le seul plaisir de le savoir exister, croître et
chaque jour embellir.
    Surtout, ma condition de riche errant me donnait
le privilège d’être partout chez moi. Je séjournais avec
le même naturel et un plaisir égal dans la plus modeste
chaumière comme dans le château le mieux gardé.
Aucune porte ne m’était close. L’Argentier bénéficiait
d’un accueil empressé chez les bourgeois ou les princes ;
j’étais reçu avec autant de chaleur et plus de naturel dans
de modestes haltes de campagne. Mon nom cependant
devint rapidement très célèbre, ce qui m’imposa certaines précautions. Il suffisait que je me fasse connaître
pour entrer dans les plus riches demeures, mais je devais
soigneusement cacher ma qualité si je voulais continuer
d’être traité avec simplicité dans le peuple.
    Parfois, la dissimulation était impossible et mon secret
révélé. Un soir, près de Bruges, je fus ainsi rejoint par
Jean de Villages qui circulait dans les mêmes parages. Il
avait pris le parti, lui, d’afficher sa puissance et sa prospérité à tous les instants de sa vie nomade. Sa compagnie d’écorcheurs était richement vêtue. Quatre voitures à sa suite portaient des coffres chargés d’ornements
pour ses haltes et de tenues pour lui-même et ses catins.Deux ou trois de ces dames, selon les saisons, caracolaient autour de lui en amazone. Quant à Jean, il arborait autour du cou une chaîne d’or sur laquelle il avait
fait monter une figurine qui, de loin, pouvait passer
pour la Toison d’or.
    Son entrée dans le village où je séjournais ce jour-là
avait été précédée par une petite avant-garde de ses mercenaires. Ces insolents avaient fait dégager la rue principale et, pour y parvenir, n’avaient pas hésité à botter
les fesses de Marc. Celui-ci avait ameuté en représailles
une troupe de paysans qui, sans son intervention,
auraient seulement courbé l’échine. Quand Jean de Villages parut, coiffé d’une toque à plumet, accompagné
de sa suite de filles, d’assassins et de malles, il tomba sur
une véritable bataille rangée. Nous étions arrivés la veille
au soir très tard et j’étais encore dans ma chambre à
demi endormi lorsque j’entendis des cris dans l’escalier.
Jean, au moment de donner l’assaut, avait reconnu
Marc. Ils montaient maintenant tous les deux pour me
tirer du lit.
    En apprenant ma présence, Jean avait immédiatement donné l’alerte à tout le village. Le bourgmestre,
l’apothicaire et un chanoine, suivis par l’aubergiste bredouillant, vinrent s’incliner respectueusement devant
moi. La révélation de mon nom avait produit un effet
que Jean jugeait miraculeux. Il en faisait d’ailleurs largement usage à son profit, se présentant partout comme
l’associé de Messire Cœur. Mais c’en était fini pour moi
du naturel et de la tranquillité. Je ne pus jamais faire
comprendre à Jean que cet aspect de la richesse me
rebutait. Les braves gens devant qui il faisait étalage de
ma puissance ne pouvaient de toute façon pas m’offrirmieux que ce qu’ils possédaient. Mon oreiller de plume
et mon matelas de crin resteraient les mêmes. La seule
chose que je gagnerais à faire savoir qui j’étais serait de
recevoir les hommages embarrassés d’un ou deux bourgeois, tout disposés à me livrer leur fille, quand ce n’était
pas leur femme, dans l’espoir que je fisse retomber sur
eux un peu de ma prospérité.
    *
    Le seul endroit où je ne pouvais décidément pas me
soustraire à mon rôle d’Argentier et d’homme puissant
était ma bonne ville. Macé y avait poursuivi l’ascension
qu’elle avait commencée à une époque où, pourtant,
notre richesse était encore modeste et, pour ainsi dire,
concevable. Dans ses débuts, elle mesurait ses dépenses
à nos moyens et les limites de ceux-ci interdisaient
l’excès de celles-là. Désormais, il n’y avait plus de barrières raisonnables à ses entreprises. Il fallait qu’elle
découvre en elle la borne de ses désirs. Cette situation
nouvelle provoqua un

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