Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le Grand Coeur

Le Grand Coeur

Titel: Le Grand Coeur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Christophe Rufin
Vom Netzwerk:
vertige qu’elle traita en allant
faire retraite quelque temps dans un couvent.
    Elle en sortit avec un plan arrêté. Sa décision était
que, pour elle-même, rien ne changerait. Elle continuerait de se vêtir avec simplicité, même si tissus, bijoux et
fards étaient de la meilleure qualité. Toute la puissance
que nous avions acquise irait à la famille et donc d’abord
à nos enfants. Elle traça pour eux des carrières brillantes,
souhaitant presque que se dressent sur leur route des
obstacles nombreux, pour avoir le plaisir de s’employer
à les réduire.
    Comme je m’y attendais, elle exigea aussi que nousfissions construire une nouvelle maison. Je crus d’abord
qu’elle souhaitait une demeure bourgeoise. Si j’étais
prêt à édifier pour elle la plus belle, je ne pensais pas
que cela nous mènerait bien loin. Nous eûmes sur ce
sujet avant la Noël une explication amicale, conforme à
nos nouvelles relations, empreintes de respect et d’un
peu de froideur. Macé me fit alors comprendre sans
détour ce qu’elle voulait : nous devions avoir un palais.
    Je commençai par me récrier. L’ostentation était tout
ce que j’avais fui. Je pensais encore en parvenu : il me
semblait qu’on tolérait ma réussite, pourvu que mon
triomphe fût modeste. Toute prétention au paraître
ferait descendre sur moi de toutes parts, et d’abord de
celle du roi, des foudres propres à ruiner le fragile édifice de mon entreprise. Le roi ne pouvait-il, avec la
même facilité qu’il me l’avait accordé, me retirer le titre
d’Argentier ? Toutes les charges que j’exerçais pour lui,
en levant des taxes notamment, je les présentais comme
des corvées, des services que j’acceptais de lui rendre. Si
j’attirais l’attention sur mes revenus, il deviendrait évident pour tout le monde que ces faveurs royales, loin
de m’accabler, faisaient ma fortune, et des voix nombreuses s’élèveraient pour que j’en sois dépouillé. Plus
que tout, je craignais à vrai dire le roi lui-même. Je savais
qu’il y avait en lui un fond mauvais, d’envie et de
méchanceté. Faire étalage de trop de luxe et de puissance était dangereux, quand cette puissance dépendait
si directement de son bon vouloir. De surcroît, construire
un palais, c’était se faire l’égal des princes, qu’il détestait. Macé balaya tous ces arguments d’un revers de main
et je compris qu’elle ne céderait pas. Après tout, l’avantage d’une ambitieuse construction était qu’elle prendrait du temps. Entre l’acquisition du terrain et la réalisation du palais, il se passerait des années. Je pouvais
espérer que, pendant ce temps, ma situation s’affermirait et que tout le monde, à commencer par le roi, s’habituerait à ma fortune au point d’en tolérer les signes
extérieurs.
    J’ai dit que notre ville, au temps des Romains, avait
été entourée d’une haute muraille. La cité avait désormais dépassé largement cette enceinte. Les constructions neuves, qui étaient édifiées à sa base, prenaient
appui sur elle. Par endroits, elle avait été détruite et servait de carrière. Du côté sud, un beau morceau de remparts antiques était encore intact et je me décidai à en
faire l’acquisition. Il comportait une grosse tour à l’une
de ses extrémités. Au lieu d’un terrain nu, cette propriété avait déjà les apparences d’un ensemble bâti.
Quiconque passait devant cette tour disait maintenant :
« Voici la future maison de Cœur. » Cela suffirait à
apaiser les impatiences mondaines de Macé. J’en profitai pour faire traîner en longueur les formalités
d’achat. Comme je n’étais jamais sur place pour signer
la vente, l’affaire dura et je fus provisoirement délivré de
la menace qu’elle faisait planer sur moi.
    Le plus étrange est qu’au moment même où je repoussais le projet somptuaire de Macé, je devins châtelain
sans l’avoir ni désiré ni prévu. À vrai dire, cet événement
était tout sauf fortuit. À tenir ma bourse ouverte au
profit de tant de nobles désargentés, il était inévitable
que l’un d’eux, acculé par des créanciers moins accommodants que moi, finirait par abandonner ses propriétés
pour éviter la prison. Les prêteurs habiles se saisiraient
des terres, qui valent toujours quelque chose. Moi, quela garantie du roi mettait à l’abri, je n’aurais pas trop
d’exigences : on me livrerait alors la vieille demeure,
c’est-à-dire le bien dont personne ne

Weitere Kostenlose Bücher