Le grand voyage
stabilisa l’embarcation. En se guidant des tiges,
elle tenta d’atteindre les racines avec ses orteils pour les décoller du fond
vaseux. Les nénuphars se détachèrent dans un nuage de limon.
Ayla fit de nouveau tournoyer le canot en se hissant à bord,
mais à deux, ils réussirent à l’équilibrer et ils se dirigèrent vers le massif
de roseaux. En approchant, Ayla s’aperçut que les plantes qui poussaient dru
sur les bords de l’île étaient des massettes auxquelles se mêlaient de grands
saules marseaux.
Ils se frayèrent un chemin au milieu de la végétation, à la
recherche d’une berge où accoster. Mais ils avaient beau écarter les roseaux,
ils ne trouvaient pas trace de la moindre parcelle de terre, ni du plus
vulgaire banc de sable, et à mesure qu’ils avançaient, le rideau de roseaux se
refermait derrière eux. Ayla ressentit une certaine appréhension, et Jondalar,
encerclé, eut l’étrange sensation d’être le captif d’un être invisible. Des
pélicans volaient au-dessus de leur tête. Ayla et Jondalar avaient la
désagréable impression que c’était en cercles de plus en plus rapprochés.
Lorsqu’ils se retournèrent pour examiner le chemin qu’ils venaient de s’ouvrir,
ils eurent la surprise de voir la terre ferme disparaître lentement.
— Ayla, nous bougeons ! s’écria Jondalar, comprenant
soudain que le rivage ne bougeait pas, mais que l’île, poussée par les
courants, tournait sur elle-même, entraînant leur bateau avec elle.
— Allons-nous-en vite ! hurla Ayla en empoignant sa
pagaie.
Les îles du delta étaient éphémères, à la merci constante des
caprices de la Grande Mère des rivières. Même celles qui abritaient une
abondance de roseaux risquaient d’être balayées par les flots. Parfois la
végétation poussait tant et plus qu’elle s’étendait jusque dans l’eau
elle-même.
Quelle qu’en fût la cause initiale, les racines de roseaux s’entremêlaient
et créaient une plate-forme flottante où s’accumulaient les matières en
décomposition venant d’organismes aquatiques ou végétaux, qui fertilisaient à
leur tour d’autres roseaux. Avec le temps, ces plates-formes devenaient des
îles flottantes qui abritaient toutes sortes de végétation. Variétés de petites
massettes à feuilles étroites, joncs, fougères, buissons de saules marseaux qui
atteindraient un jour la taille d’un arbre, toutes ces plantes poussaient sur
les bords de l’île. Mais c’étaient les immenses roseaux, dépassant parfois
trois mètres, qui avaient constitué la végétation originelle. Certains de ces
bourbiers devenaient de véritables paysages flottants, à l’aspect éternel
totalement illusoire.
Avec leurs petites pagaies et beaucoup de sueur, ils se
forcèrent un passage hors de l’île trompeuse. Mais arrivés à la périphérie de l’instable
bourbier, ils s’aperçurent que le rivage opposé avait disparu. Face à eux, s’étendait
un lac dont le spectacle leur coupa le souffle. Une incroyable concentration de
pélicans tranchait sur un décor vert foncé. Ils étaient des milliers et des
milliers d’oiseaux rassemblés sur les nids herbeux d’îles flottantes. Et dans
le ciel, une myriade d’autres pélicans aux ailes d’une envergure
impressionnante volaient à différentes hauteurs, comme s’ils attendaient leur
tour pour se poser sur les îles surpeuplées.
Blancs teintés d’un lavis rose, des ailes aux rémiges gris
foncé, un long bec crochu, la mandibule inférieure affublée d’une poche
dilatable les grands oiseaux élevaient leurs oisillons. Les bruyants bébés
pélicans, encore recouverts de duvet, sifflaient et piaillaient, et leurs
parents leur répondaient par des cris rauques. Si grand était leur nombre que
le vacarme en devenait assourdissant.
A demi cachés par les roseaux, Ayla et Jondalar observèrent,
fascinés, la gigantesque colonie. Un appel rauque leur fit lever la tête, et
ils virent un pélican d’une envergure d’au moins trois mètres volant en
rase-mottes, toutes ailes déployées. Il fonça vers le milieu du lac, puis
replia soudain ses ailes et tomba comme une pierre, provoquant un énorme plouf
dans son amerrissage disgracieux. Près de là, un autre battait des ailes et
rasait l’eau pour prendre son envol. Ayla commençait à comprendre pourquoi ils
avaient élu domicile sur un lac : ils avaient besoin d’un grand espace
pour décoller, bien qu’une fois en l’air, leur vol
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