Le grand voyage
l’hiver, et assez adroit pour cueillir une feuille précisément
choisie. La trompe était surtout merveilleusement adaptée à l’arrachage de l’herbe.
A son extrémité, deux saillies : au-dessus, un appendice tactile que le
mammouth commandait à sa guise, et en dessous un autre appendice aplati, plus
large et très flexible, un peu comme une main, mais sans os ni doigt.
Jondalar regardait, fasciné par son habileté et par sa force, un
mammouth enrouler l’appendice inférieur de sa trompe autour d’une touffe d’herbe
haute et la maintenir pendant que de l’appendice supérieur il tâtait et
rassemblait d’autres tiges en une gerbe suffisante. Utilisant le second
appendice comme un pouce, la trompe se referma autour de la gerbe et extirpa d’un
coup sec tiges et racines. Après qu’il l’eut secouée pour la nettoyer de sa
terre, le mammouth l’enfourna, et tout en mastiquant, en prépara une autre avec
sa trompe.
Pendant leur migration à travers les steppes, les mammouths
laissaient derrière eux d’immenses espaces dévastés, du moins en apparence.
Mais l’herbe déracinée, l’écorce arrachée étaient bénéfiques pour la steppe, et
pour les autres animaux. Débarrassée des tiges ligneuses des hautes herbes et
des arbustes, la terre donnait naissance à de riches plantes herbacées,
nourriture essentielle pour la plupart des habitants des steppes.
Soudain, Ayla frissonna sous l’effet d’une étrange sensation.
Elle s’aperçut que les mammouths avaient interrompu leur repas. Plusieurs d’entre
eux s’étaient redressés et, dodelinant de la tête, oreilles tendues, ils
regardaient vers le sud. Jondalar nota le changement qui s’opéra chez la
femelle noisette, celle que les mâles n’avaient cessé de harceler. La tension
de l’attente semblait avoir remplacé la fatigue extrême. Soudain, elle poussa
un barrissement long et grave. En réponse, un grondement sourd, comme un
roulement de tonnerre venant du sud-ouest, résonna dans la tête d’Ayla et lui
donna la chair de poule.
— Jondalar ! s’écria-t-elle. Là-bas !
Il regarda dans la direction qu’elle indiquait. Soulevant un
nuage de poussière telle une tornade, sa tête bombée dépassant à peine de l’herbe
géante, un mammouth gigantesque chargeait. Il était roux pâle et deux défenses
énormes surgissaient de la mâchoire supérieure, plongeant d’abord vers le bas,
puis elles remontaient en se recourbant vers l’intérieur, et se terminaient en
pointes émoussées. Si le mammouth ne les brisait pas, elles finiraient par
former deux grands arcs de cercle dont les extrémités se croiseraient.
Les mammouths à l’épaisse toison laineuse de l’Ere Glaciaire
étaient trapus. Ils dépassaient rarement trois mètres au garrot. Mais leurs
défenses atteignaient des tailles spectaculaires, les plus prodigieuses qui
existèrent jamais. Aux environs de soixante-dix ans, les défenses en ivoire d’un
mammouth mâle en bonne santé pouvaient approcher les quatre mètres et peser
plus de cent kilos chacune.
Un fort effluve, âcre et musqué, précéda l’arrivée du mammouth,
déclenchant une excitation intense parmi les femelles. Lorsqu’il atteignit la
clairière, elles se précipitèrent à sa rencontre, inondant le sol de leur urine
pour lui offrir leur odeur, et le saluant par un concert de barrissements
discordants. Attirées et perturbées à la fois, elles l’entouraient, lui
présentaient leur arrière-train, essayaient de le caresser de leur trompe. Les
autres mâles, eux, battirent en retraite à l’écart du troupeau.
La tête haute, le grand mâle exhibait fièrement ses spirales d’ivoire,
qui excédaient de loin en taille les défenses des femelles, plus petites et
plus droites. Même celles des plus gros mâles paraissaient frêles en
comparaison. Ses petites oreilles laineuses déployées, son toupet dru et sombre
dressé, sa toison roux clair dont les longs poils volaient au vent ajoutaient à
la majesté de sa stature. Dominant les mâles adultes de près d’un mètre, deux
fois plus gros que les femelles, c’était l’animal le plus formidable qu’aient
jamais vu Ayla et Jondalar. Il avait survécu à quarante-cinq années, ou
davantage, d’épreuves et de plaisirs, il était en pleine maturité, un seigneur
des mammouths, il était magnifique.
Mais ce n’était pas seulement la majesté de sa taille qui avait
fait reculer les autres mâles. Ayla remarqua que ses tempes
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