Le grand voyage
maelströms gigantesques. Comme le climat s’était
considérablement rafraîchi, les moucherons cessaient de les importuner, mais
les carcasses boursouflées et à moitié dévorées de bêtes en putréfaction en
attiraient une grande quantité. Au sud, un massif couvert de forêts émergeait d’un
brouillard violet causé par des tourbillons impétueux.
— Ce sont certainement les Collines Boisées dont parlait
Carlono, dit Ayla.
— Oui, mais ce ne sont pas de simples collines. Elles sont
bien plus hautes qu’on le croit, et elles s’étendent très loin. La Grande
Rivière Mère coule vers le sud jusqu’au barrage qu’elles forment. Ensuite, elle
dévie vers l’est.
Ils longèrent un bassin d’eau calme, bras mort coupé de la
rivière, et s’arrêtèrent légèrement en amont du confluent des deux géantes.
Devant les eaux tumultueuses, Ayla commença à comprendre pourquoi Jondalar
insistait tant sur la difficulté de traverser la Sœur.
Les eaux boueuses tourbillonnaient autour de troncs de saules et
de bouleaux qui surgissaient d’îles immergées, et déracinaient les plus
fragiles. De nombreux arbres penchaient dangereusement alors qu’un
enchevêtrement de branches nues et de troncs arrachés des bois en amont
tournoyait dans une danse folle, ballotté par les flots.
Ayla s’interrogeait de plus en plus sur leurs chances de
réussite.
— Où allons-nous traverser ? s’inquiéta-t-elle.
Jondalar aurait bien voulu voir apparaître le grand bateau
ramudoï qui les avait repêchés, son frère et lui, et les avait déposés sur l’autre
rive quelques années auparavant. Le souvenir de Thonolan lui déchira le cœur,
et il s’inquiéta soudain du danger que courait Ayla.
— On ne peut pas traverser ici ! Je ne m’attendais pas
à ce que la Sœur soit déjà si grosse. Nous trouverons peut-être un meilleur
passage plus haut. Espérons qu’il ne va pas recommencer à pleuvoir !
Encore un déluge comme celui que nous avons essuyé et la plaine entière sera
inondée. Je comprends pourquoi le camp était abandonné.
— La rivière va monter tant que ça ? s’étonna Ayla,
les yeux écarquillés.
— Non. Pas tout de suite, encore que... toute l’eau des
montagnes terminera sa course par ici. Si la rivière qui coulait près du camp
déborde d’un coup, elle peut très bien l’inonder jusqu’ici. Ça doit arriver
souvent. Dépêchons-nous, Ayla, s’il se remet à pleuvoir, cet endroit sera
dangereux, avertit Jondalar en regardant le ciel d’un œil anxieux.
Il poussa son cheval au galop et le maintint à une telle allure
que Loup avait du mal à suivre. Ils finirent par ralentir, sans toutefois se
remettre au pas.
De temps en temps, Jondalar s’arrêtait pour étudier la rivière,
puis reprenait sa route vers le nord en examinant le ciel avec inquiétude. La
rivière semblait s’étrécir par endroits, et s’élargir à d’autres, mais vu sa
taille gigantesque, ce n’était peut-être qu’un effet d’optique. Ils
chevauchèrent jusqu’au crépuscule dans trouver de passage fiable, mais Jondalar
insista pour atteindre un plateau plus élevé où ils pourraient planter leur
tente en sécurité. Il faisait nuit noire quand ils s’arrêtèrent enfin.
— Ayla ! Ayla ! Lève-toi ! dit Jondalar
en la secouant gentiment. Il faut qu’on parte.
— Hein ? Jondalar ! Que se passe-t-il ?
D’habitude, elle était toujours la première debout et ce brusque
réveil la désorientait. En se glissant hors de sa fourrure, elle sentit une
brise glaciale et remarqua alors le rabat de la tente ouvert. Les nuages
menaçants diffusaient une pâle lumière grise qui éclairait à peine l’intérieur
de leur abri. Elle devinait le visage inquiet de Jondalar, et se mit à trembler
en pensant à ce qui les attendait.
— Il faut y aller, insista Jondalar.
Il n’avait presque pas fermé l’œil de la nuit. Quelque chose lui
disait qu’ils devaient absolument traverser la rivière le plus vite possible,
et cette sourde intuition lui nouait l’estomac. Il s’inquiétait surtout pour
Ayla.
Elle se leva sans demander d’explications. Elle savait qu’il ne
l’aurait pas réveillée pour rien. Elle s’habilla promptement, et sortit son
équipement pour faire du feu.
— Nous n’avons pas le temps, l’arrêta Jondalar.
Ayla parut perplexe, mais n’insista pas et leur versa à chacun
un bol d’eau froide. Ils emballèrent leur matériel tout en mangeant
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