Le grand voyage
riche et fertile. Mais seuls les arbres squelettiques
de l’hiver en témoignaient.
Les doigts osseux et les membres décharnés de quelques bouleaux
s’entrechoquaient dans les cruelles rafales du vent du nord. Des broussailles
desséchées, des roseaux et des fougères bordaient les rives qui se recouvraient
d’une pellicule de glace. En s’épaississant, la couche de glace s’élèverait en
digue déchiquetée, future banquise dérivant au printemps. Sur les versants nord
et les collines moutonneuses bordant la ligne de partage des eaux de la vallée,
le vent déferlait en rafales régulières sur les champs houleux de foin dressé,
et des bourrasques capricieuses contournant l’adret agitaient les rameaux
tremblotants des épicéas et des pins. Une neige poudreuse voletait en
tourbillonnant avant de se poser délicatement sur le sol.
Le temps avait définitivement viré au froid, mais les rafales de
neige n’étaient pas gênantes. Les chevaux, le loup, et même les humains étaient
habitués aux hivers rigoureux des steppes nordiques, au froid sec et aux
légères chutes de neige. Seule la neige entassée en couches épaisses, où les
chevaux s’enfonçaient et s’épuisaient, pouvait inquiéter Ayla. Et pour l’instant,
elle avait d’autres soucis. Elle venait d’apercevoir des chevaux dans le
lointain. Whinney et Rapide les avaient aussi remarqués.
En se retournant par hasard, Jondalar crut voir de la fumée sur
une colline, de l’autre côté de la rivière. Il y avait peut-être là le signe d’une
présence humaine. Il se retourna à plusieurs reprises, mais la fumée avait
disparu.
Vers le soir, ils remontèrent le cours d’un petit affluent à
travers un bois clairsemé de saules et de bouleaux, remplacé bientôt par une
futaie de pins de pierre. Une pellicule de glace s’était formée pendant la nuit
à la surface d’un petit étang dont les bords avaient gelé, mais au milieu, l’eau
continuait de couler et ils décidèrent de s’arrêter pour camper. Une neige
sèche tombait, habillant l’ubac d’un manteau blanc.
Whinney était nerveuse depuis qu’elle avait senti les chevaux,
et Ayla s’inquiétait. Elle décida de lui mettre un harnais pour la nuit, et
elle l’attacha au tronc d’un pin avec une grande longe. Jondalar noua celle de
Rapide à un arbre voisin. Ils ramassèrent des feuilles sèches, et arrachèrent
les branches mortes au bas des pins. Le peuple de Jondalar appelait ça du « bois
de femmes » parce qu’on n’avait pas besoin de couteau ni de hache pour le
récolter. On le trouvait sur la plupart des conifères, et il était toujours
sec, même par temps très humide. Ils allumèrent un feu devant l’entrée de la
tente, et laissèrent le rabat ouvert afin de chauffer l’intérieur.
Un lièvre en mue, déjà presque blanc, traversa leur campement au
moment même où Jondalar s’exerçait avec une nouvelle sagaie qu’il
perfectionnait depuis plusieurs soirs. D’instinct, il propulsa son arme et eut
l’agréable surprise de toucher l’imprudent animal. La sagaie était plus courte
que celles qu’il utilisait auparavant, et l’embout était taillé dans le silex
et non dans l’os. Jondalar alla ramasser le lièvre et essaya d’extirper la
hampe. Voyant qu’elle ne venait pas facilement, il sortit son couteau, trancha
la pointe, et constata avec plaisir que la sagaie était toujours utilisable.
— Voilà de la viande pour ce soir ! annonça-t-il en
tendant le lièvre à Ayla. A croire que cet animal a choisi son moment pour me
permettre d’essayer mes nouvelles sagaies. Elles sont légères et maniables, il
faudra que tu les essaies.
— Je crois plutôt que nous avons planté notre camp au
milieu de son passage habituel, mais ton jet était excellent. J’aimerais bien
essayer tes sagaies, mais je vais d’abord faire cuire ce lièvre et trouver de
quoi l’accompagner.
Elle vida les entrailles mais ne dépouilla pas le lièvre pour ne
pas perdre la graisse. Elle l’embrocha sur une branche de saule effilée et le
mit à cuire au-dessus du feu sur deux fourches fichées en terre. Ensuite, et
bien qu’elle dût briser la glace pour les arracher, elle collecta quelques
racines de massette et de réglisse. Elle les pila ensemble avec une pierre
ronde dans un récipient en bois plein d’eau afin d’extraire les dures fibres
filandreuses. Elle laissa reposer la pulpe blanche pendant qu’elle fouillait
dans ses réserves pour voir ce
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