Le grand voyage
de s’unir, poursuivit S’Armuna.
C’était comme prendre un nouveau départ. Mais elle a vite découvert que l’homme
qu’elle avait rejoint était pire que celui qu’elle avait connu. Brugar ne
partageait les Plaisirs que dans les coups et les humiliations, ou pire même. A
sa façon, il... je n’ose dire qu’il l’aimait, mais il avait certainement des
sentiments pour elle. Il était si... si malsain. Pourtant, elle fut la seule à
oser le défier, en dépit de tout ce qu’il lui faisait subir.
S’Armuna hocha la tête d’un air grave.
— Brugar était fort, reprît-elle, très fort, et il prenait
plaisir à torturer les autres, surtout les femmes. Je suis sûr qu’il jouissait
de les voir souffrir. Tu prétendais que les Têtes Plates mâles n’avaient pas le
droit de se battre entre eux, mais qu’ils pouvaient frapper les femmes. Cela
explique peut-être son comportement. Brugar aimait voir Attaroa se rebeller.
Elle était beaucoup plus grande que lui, et vigoureuse. Il aimait mater ses
révoltes, et il adorait qu’elle le défiât. Il y trouvait une excuse pour lui
faire mal, et il semblait sortir renforcé de leurs bagarres. Cela lui donnait
un sentiment de puissance.
Les malheurs d’Attaroa ressemblaient trop à une situation qu’elle
avait bien connue pour laisser Ayla indifférente. Elle frissonna, et se sentit
un élan de sympathie et de compassion pour la Femme Qui Ordonne.
— Il s’en vantait devant les autres hommes, et ces
imbéciles l’encourageaient, poursuivit la vieille femme. Plus Attaroa
résistait, plus il lui faisait payer cher, jusqu’à ce qu’elle finisse par se
soumettre. Il pouvait alors la désirer. Je me suis souvent demandé ce qui se
serait passé si Attaroa avait été docile les premiers temps. Se serait-il lassé
d’elle ou aurait-il cessé de la battre ?
C’était aussi la question qu’Ayla s’était posée. Et lorsqu’elle
ne lui avait plus résisté, Broud s’était lassé.
— Mais j’en doute, continua S’Armuna. Plus tard, quand la
Mère l’a honorée et qu’elle a arrêté de le braver, il n’a pas changé pour
autant. C’était sa compagne, il s’imaginait qu’il avait le droit de lui faire
tout ce qui lui plaisait.
Je n’étais pas la compagne de Broud, se souvint Ayla, et Brun ne
lui permettait pas de me battre. Il en avait certes le droit, mais le reste du
clan de Brun n’approuvait pas la façon dont il me traitait. Tout le monde
trouvait cela bizarre, et Broud avait fini par me laisser tranquille.
— Même quand Attaroa a été enceinte, Brugar continuait de
la battre ? s’étonna Jondalar, choqué.
— Oui, et pourtant il avait l’air content qu’elle attende
un enfant. J’ai été enceinte, moi aussi, songea Ayla. Décidément, elle
partageait beaucoup de choses avec Attaroa.
— Attaroa venait me trouver pour que je la soigne,
continuait S’Armuna, hochant la tête d’un air de pitié. Ce qu’il lui faisait...
c’était horrible. Je répugne à le dire. Elle pouvait s’estimer heureuse quand
elle ne récoltait que des bleus.
— Mais pourquoi avoir supporté tout cela ?
— Elle n’avait nulle part où aller, ni parents ni amis.
Ceux de son Camp lui avaient bien fait comprendre qu’ils ne voulaient pas d’elle,
et elle était trop fière pour s’imposer à eux. Elle préférait souffrir plutôt
que d’avouer comment elle était traitée. Dans un sens, je la comprends, assura
S’Armuna. Personne n’a jamais levé la main sur moi, bien que Brugar ait essayé,
une fois. Mais je ne suis pas partie, je croyais qu’on ne voudrait pas de moi
ailleurs. J’avais pourtant de la famille, mais j’étais Celle Qui Sert la Mère,
et je refusais d’admettre à quel point la situation s’était détériorée. C’eût
été avouer mon échec.
Jondalar approuva d’un signe de tête. Il avait ressenti ce
sentiment d’échec, lui aussi. Il jeta un coup d’œil à Ayla, et, une agréable
chaleur l’envahit. Comme il l’aimait !
— Attaroa haïssait Brugar, poursuivit S’Armuna, mais je
crois qu’elle l’a aussi aimé, à sa manière. Parfois, elle le provoquait exprès.
Je me suis souvent demandé s’il n’attendait pas qu’elle dépasse la douleur pour
la prendre et, sinon l’aimer ni lui procurer les Plaisirs, du moins lui prouver
qu’elle était désirée. Il est possible que la cruauté de Brugar ait enseigné à
Attaroa une sorte de Plaisir pervers. Maintenant elle atteint ses
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