Le grand voyage
celle de
Brugar, murmura S’Armuna avec compassion.
— Non, au contraire. On ne me considérait pas comme une
fille du Clan difforme. J’étais différente, une Autre, comme ils nous
appellent. Ils n’attendaient rien de moi. Je faisais parfois des choses qui les
surprenaient et ils me trouvaient un peu lente, vu la difficulté que j’avais à
me souvenir. Je ne prétends pas que tout a été facile, il a fallu que j’apprenne
leurs coutumes, que je me conforme à leurs usages. Ça n’a pas été simple, mais
j’ai eu de la chance. Ceux qui m’ont élevée, Creb et Iza, m’aimaient beaucoup.
Sans eux, je ne crois pas que j’aurais survécu.
Le récit d’Ayla intriguait fort S’Armuna, mais elle jugea que le
moment n’était pas venu de lui demander des éclaircissements.
— C’est une chance que tu ne sois pas métisse,
déclara-t-elle en lançant un coup d’œil significatif à Jondalar. D’autant que
tu vas rencontrer les Zelandonii.
Ayla surprit son regard et crut en comprendre le sens. Elle se
souvint de la réaction de Jondalar lorsqu’il avait appris d’où elle venait. Et
il avait encore plus mal réagi en découvrant que son fils était le produit d’esprits
mêlés.
— Qu’est-ce qui te fait croire qu’elle ne les a pas déjà
rencontrés ? interrogea Jondalar.
S’Armuna prit le temps de la réflexion. Comment le
savait-elle ? Elle adressa un sourire au géant.
— Tu disais que tu rentrais chez les tiens, et Ayla a dit « sa
langue » et pas « notre langue », commença-t-elle.
Soudain, elle eut une révélation.
— Le langage ! L’accent ! C’est ça ! Je sais
où je l’ai déjà entendu. Brugar avait le même accent ! Pas aussi prononcé
que le tien, Ayla. Et pourtant, il parlait moins bien le s’armunaï que toi le Zelandonii.
Mais il avait dû développer certaines intonations... pas vraiment un accent...
lorsqu’il vivait avec les Têtes Plates. Maintenant que je l’ai entendu de
nouveau, je crois que je n’oublierai jamais plus cette prononciation
particulière.
Ayla était vexée. Elle s’était donnée beaucoup de mal pour
apprendre à parler correctement, mais elle avait toujours éprouvé des
difficultés à prononcer certains sons. Habituellement, elle acceptait les
remarques, mais S’Armuna semblait y attacher tellement d’importance !
— Je sais désolée, Ayla, s’excusa la chamane en remarquant
la mine déconfite de la jeune femme. Je ne voulais pas te vexer. D’ailleurs, tu
parles très bien Zelandonii, et même mieux que moi, j’ai tellement oublié. Et
tu n’as pas vraiment d’accent, c’est... c’est difficile à expliquer. Je suis
sûre que la plupart des gens ne le remarquent même pas. Mais tu m’as permis de
cerner la personnalité de Brugar, et ça m’aide à mieux comprendre Attaroa.
— T’aider à comprendre Attaroa ? s’exclama Jondalar.
Comment peut-on comprendre tant de cruauté ?
— Elle n’a pas toujours été ainsi. Lorsque je suis revenue
de chez les Zelandonii, j’ai commencé par l’admirer, et je la plaignais
beaucoup. Mais avec le recul, je crois maintenant que Brugar était fait pour
elle.
— Comment peux-tu dire une chose pareille ?
— Elle avait été préparée à accepter sa cruauté, précisa S’Armuna.
Petite fille, Attaroa a été maltraitée. Elle n’aimait pas en parler, mais je
crois que sa mère la détestait. On m’a dit qu’elle l’avait abandonnée. Elle a
disparu et on n’a plus jamais entendu parler d’elle. Attaroa a été recueillie
par un homme dont la compagne était morte en couches avec son bébé, dans des
circonstances suspectes. Les soupçons se sont confirmés quand on a appris qu’il
battait Attaroa et qu’il l’avait prise avant qu’elle ne fût femme. Mais on a
laissé faire parce que personne ne voulait se charger d’elle, parce qu’il y
avait quelque chose de trouble dans ses origines. Attaroa a donc été livrée à
la merci de la cruauté de cet homme. Il a fini par mourir et des personnes de
son Camp ont arrangé son Union avec le nouveau chef de celui-ci.
— Sans son consentement ? demanda Jondalar.
— Disons qu’ils l’ont « encouragée » à accepter,
et ils lui ont fait rencontrer Brugar. Comme je l’ai déjà dit, il savait
charmer, et je crois qu’il l’a trouvée belle.
Jondalar parut approuver. Il s’était dit, lui aussi, qu’Attaroa
aurait pu être très séduisante.
— Je pense qu’elle avait hâte
Weitere Kostenlose Bücher