Le grand voyage
chamane en lui tendant l’objet.
Il l’examina en détail. Elle était dotée de lourdes mamelles et
de hanches larges, les bras étaient à peine esquissés, les jambes sans pieds s’effilaient
en pointe et le visage était lisse, encadré d’une vague chevelure. En fait,
elle ressemblait à toutes celles qu’il avait vues auparavant, mais la matière,
d’un noir uniforme, était nouvelle. Il essaya sans succès de la rayer d’un coup
d’ongle. Elle n’était ni en bois, ni en os, ni en ivoire. Dure comme le roc, d’aspect
poli, sans trace de ciselure, elle ne ressemblait à aucune pierre.
Jondalar regarda S’Armuna d’un air ébahi.
— Je n’ai jamais rien vu de pareil, avoua-t-il.
Il tendit la figurine à Ayla, qui fut parcourue d’un frisson dès
qu’elle l’eut entre les mains. Elle regretta de ne pas avoir sa pelisse, tout
en sachant que le froid n’était pour rien dans son frémissement.
— Cette munaï provient de la poussière de la terre, affirma
S’Armuna.
— La poussière ? s’étonna Ayla. Mais cette statue est
en pierre !
— Maintenant, oui. Je l’ai changée.
— Tu l’as changée en pierre ? Comment peux-tu changer
de la poussière en pierre ? demanda Jondalar, incrédule.
— Si je vous le dis, reconnaîtrez-vous mon pouvoir ?
— Oui, si tu sais me convaincre, répondit Jondalar.
— Je vous le dirai, mais je ne chercherai pas à te
convaincre. Ce sera à toi de décider. Voilà : j’ai commencé avec la glaise
que j’ai ramassée au bord de la rivière. Une fois sèche, je l’ai pilée pour la
réduire en poussière et je l’ai ensuite mélangée avec de l’eau.
S’Armuna s’interrompit, réticente à leur livrer la composition
exacte du mélange. Elle décida finalement d’en garder le secret pour l’instant.
— Lorsque la consistance fut parfaite, une forme lui fut
donnée. Ensuite ce sont le feu et l’air chaud qui l’ont changée en pierre.
Elle épiait leur réaction. Seraient-ils impressionnés ou
dédaigneux, incrédules ou enthousiastes ?
— Je me souviens d’avoir entendu dire... commença Jondalar
le visage tendu... oui, je crois que c’était un Losadunaï... il parlait de
figures de la Mère faites avec de la boue.
— Oui, on peut dire que nous faisons des munaï à partir de
la boue, concéda S’Armuna, satisfaite de son exposé. Nous procédons de la même
façon pour fabriquer des statues d’animaux lorsque nous voulons invoquer leurs
esprits. Toutes sortes d’animaux, des ours, des lions, des mammouths, des
rhinocéros, des chevaux. La consistance de la boue facilite le modelage, mais
une statue faite avec la poussière de la terre, même une fois durcie,
redeviendra malléable si on la mouille. Et elle retournera en poussière. Mais
si Son feu sacré l’éveille à la vie, la matière sera changée pour toujours. Les
figurines qui traversent la chaleur incandescente de la Mère deviennent dures
comme la pierre. L’esprit du feu les fortifie.
L’enthousiasme de S’Armuna se lisait dans ses yeux et Ayla se
souvint d’avoir surpris la même exaltation dans le regard de Jondalar lorsqu’il
mettait au point son propulseur. Elle comprit que S’Armuna revivait la fièvre
de sa découverte, et cela suffit à la convaincre.
— Les statuettes se brisent facilement, encore plus que le
silex, poursuivit S’Armuna. La Mère Elle-même nous a montré comment on pouvait
les casser, mais l’eau ne les modifiera plus. Après avoir été caressée par Son
feu vivifiant, une munaï de boue ne craint plus ni la pluie ni la neige. On ne
pourra plus la ramollir, même en la plongeant dans l’eau.
— Je vois maintenant que tu maîtrises le pouvoir de la
Mère, déclara Ayla, admirative.
— Voulez-vous que je vous montre ? proposa la vieille
femme après avoir quelque peu hésité.
— Oh oui ! avec plaisir, s’exclamèrent-ils en chœur.
— Alors, suivez-moi.
— Puis-je d’abord aller chercher ma pelisse ? demanda
Ayla.
— Bien sûr. D’ailleurs nous devrions tous nous couvrir.
Mais tu verras, quand nous organiserons la Cérémonie du Feu, tu ne supporteras
plus la moindre fourrure, même par un froid comme aujourd’hui. Tout est presque
prêt. Nous aurions pu allumer le feu et commencer la cérémonie ce soir même,
mais c’est assez long, et cela exige une grande concentration. Nous attendrons
demain. Ce soir a lieu une fête importante.
S’Armuna ferma les yeux et parut
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