Le grand voyage
rentrant avec Ayla et S’Armuna dans le foyer de la chamane,
Jondalar se souvint d’un propos de la vieille femme qui avait piqué sa
curiosité.
— Comment as-tu réussi à échapper à Brugar ?
demanda-t-il alors. Tu disais qu’il avait essayé de lever la main sur toi.
Alors, comment l’as-tu empêché de te frapper ?
S’Armuna s’arrêta, et regarda tour à tour le géant et la femme
qui l’accompagnait. Elle hésitait. Jusqu’où pouvait-elle se confier aux deux
étrangers ?
— Il me tolérait parce que je sais soigner. Il m’a toujours
considérée comme une guérisseuse, mais surtout, il craignait le monde des
esprits.
— Les guérisseuses possèdent un statut particulier dans le
Clan, déclara Ayla, mais elles ne font que soigner. Ce sont les mog-ur qui
communiquent avec les esprits.
— Oui, peut-être pour les esprits que connaissent les Têtes
Plates, mais Brugar craignait la colère de la Mère. Il devait se rendre compte
qu’Elle savait le mal qu’il commettait. A mon avis, il craignait Son juste
châtiment. Quand je lui ai montré que je pouvais utiliser Sa force, il a cessé
de m’importuner.
— Tu prétends que tu peux utiliser la force de la Mère.
Comment t’y prends-tu ?
S’Armuna sortit de sa tunique une petite figurine d’environ dix
centimètres de haut, représentant une femme. Ayla et Jondalar avaient déjà vu
des objets semblables, sculptés dans du bois, de l’os ou de l’ivoire. On en
avait même montré à Jondalar patiemment taillés dans la pierre. C’étaient des
figurines de la Mère, et à l’exception du Clan, tous les peuples, des Chasseurs
de Mammouths à l’est jusqu’au peuple de Jondalar à l’ouest, sculptaient Ses
représentations.
Certaines statuettes étaient grossièrement taillées, d’autres
sculptées de manière exquise ; elles étaient parfois abstraites, parfois
figuratives, mais obéissaient toutes aux mêmes principes : les attributs
de la maternité étaient volontairement exagérés – lourdes mamelles,
ventres rebondis, hanches larges – alors que d’autres détails étaient
à peine esquissés. Les bras n’étaient que suggérés, les jambes, n’avaient pas
de pieds, mais une pointe pour qu’on pût planter la statuette en terre. Et
surtout, les traits du visage n’apparaissaient jamais. Les figurines ne
cherchaient pas à ressembler à une femme particulière, et de toute façon aucun
artiste n’aurait pu imaginer les traits de la Mère. Le visage était souvent
lisse, ou marqué de signes énigmatiques, mais on trouvait aussi des statuettes
dont la chevelure élaborée cachait le visage.
Une seule statuette échappait à cette règle : le beau
portrait d’Ayla que Jondalar avait sculpté quand ils vivaient seuls dans sa
vallée, peu après leur rencontre. Mais Jondalar regrettait parfois de s’être
autorisé une telle indiscrétion. Il n’avait pas voulu reproduire le visage de
la Mère. Il avait succombé à une impulsion : sculpter le portrait de celle
qu’il aimait pour capturer son esprit. Mais la figurine terminée, il avait été
effrayé par le pouvoir considérable qu’elle recelait, et il eut soudain peur du
danger qu’elle faisait courir à Ayla, surtout si la statuette venait à tomber
entre les mains de quelqu’un qui se proposait de conquérir son esprit. Il
craignait même de la détruire, de peur de détruire Ayla en même temps. Il avait
finalement décidé de la lui offrir en lui recommandant de la garder
précieusement. Ayla aimait beaucoup la petite sculpture, dont le visage lui
ressemblait tant, parce que c’était Jondalar qui l’avait faite. Elle ne s’était
jamais inquiétée de son pouvoir potentiel. Elle la trouvait merveilleuse, et
cela lui suffisait.
Les statuettes de la Mère, que tout le monde s’accordait à
trouver belles, ne représentaient pas des jeunes femmes nubiles répondant aux
canons masculins de la beauté féminine. Elles symbolisaient la Femme, sa
fécondité, sa capacité à nourrir ceux qu’elle engendrait, et par analogie, la
Grande Terre Mère qui avait créé toute vie et nourrissait tous Ses enfants avec
une merveilleuse générosité. Les figurines servaient aussi de réceptacles pour
l’esprit de la Grande Mère de Toutes les Créatures, esprit qui pouvait s’incarner
dans des formes multiples.
Mais la figurine que S’Armuna leur montra était exceptionnelle.
— Essaie donc de découvrir en quoi elle est faite, le défia
la
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