Le grand voyage
quantité normale de déjection, mais l’haleine fétide due à la malnutrition,
la saleté repoussante des excréments évacués par des ventres malades, les
relents d’infection, de blessures purulentes et même de gangrène, tout choquait
ses sens et provoquait en elle une furieuse colère.
Epadoa se dressa devant Ayla et fit écran de son corps, mais la
jeune femme en avait assez vu. Elle fit volte-face et affronta Attaroa.
— Pourquoi ces hommes sont-ils parqués comme des
bêtes ?
En entendant la traduction de S’Armuna, les hommes derrière la
palissade retinrent leur souffle, attendant la réaction d’Attaroa. Personne n’avait
encore osé lui poser la question.
La Femme Qui Ordonne foudroya Ayla du regard, mais la jeune
femme indignée ne broncha pas. Presque de même taille, bien que la femme aux
yeux noirs fût légèrement plus grande, elles étaient toutes deux athlétiques. L’hérédité
d’Attaroa lui avait légué une charpente plus lourde, alors qu’Ayla, à force d’exercices,
avait développé une musculature fine et nerveuse. La Femme Qui Ordonne était
plus âgée que l’étrangère, plus expérimentée, plus rusée et totalement
imprévisible ; la visiteuse, experte à la traque et chasseresse émérite,
était une redoutable observatrice, prompte à noter le moindre indice et à en
tirer rapidement profits.
Soudain Attaroa éclata de son rire démoniaque, et
Jondalar : qui avait rejoint les quatre femmes, en eut la chair de poule.
— Ils l’ont mérité ! déclara-t-elle enfin.
— Personne ne mérite un tel traitement, riposta Ayla sans
attendre les explications de S’Armuna, qui se contenta de traduire les paroles
de la jeune femme pour Attaroa.
— Qu’en sais-tu ? Tu n’étais pas là ! Comment
pourrais-tu imaginer la façon dont ils nous traitaient ? lança la femme
aux yeux noirs.
— Vous obligeaient-ils à rester dehors dans le froid ?
Ne vous fournissaient-ils ni habits ni nourriture ?
Quelques femmes s’étaient approchées et assistaient à la scène d’un
air gêné.
— Vous ne valez pas mieux si vos sévices sont pires que les
leurs, poursuivit Ayla.
Attaroa ne daigna pas répondre à l’accusation que S’Armuna
traduisit. Elle se contenta de grimacer un sourire cruel.
Ayla remarqua une agitation derrière la palissade, et vit les
hommes s’écarter pour permettre à deux garçons de clopiner jusqu’au premier
rang. A la vue des deux jeunes invalides et d’autres enfants transis et
affamés, la fureur d’Ayla redoubla. Elle se rendit compte alors que des Louves
avaient pénétré dans l’Enclos armées de sagaies. Incapable de se contenir plus
longtemps, elle les apostropha :
— Et ces enfants, vous ont-ils aussi maltraitées ? Qu’ont-ils
fait pour justifier ce châtiment ?
S’Armuna s’assura que tout le monde pût comprendre les propos d’Ayla.
— Où sont les mères de ces enfants ? demanda Ayla à
Epadoa. Celle qui commandait aux Louves lança un regard interrogateur à Attaroa
après avoir entendu la question dans sa langue, mais la Femme Qui Ordonne
dévisageait Ayla avec, aux lèvres, son sourire cruel, comme si elle se délectait
d’avance de la réponse d’Epadoa.
— Certaines sont mortes, expliqua la Louve.
— Abattues alors qu’elles tentaient de s’enfuir avec leurs
enfants, précisa une des femmes qui s’étaient attroupées. Les autres n’osent
plus réagir de peur qu’on torture leurs enfants.
Ayla chercha d’où venait la voix, et aperçut une vieille femme,
celle-là même que Jondalar avait vue se lamenter si bruyamment aux funérailles
des trois jeunes gens. Epadoa la foudroya du regard.
— Que peux-tu de plus contre moi, Epadoa ? fit la femme
en s’avançant courageusement. Tu as déjà pris mon fils, et ma fille ne tardera
pas à le suivre. Je suis trop vieille et je me moque bien de la vie,
maintenant.
— Ils nous avaient trahies, répliqua Epadoa. Que cela serve
de leçon à ceux qui voudraient encore s’enfuir.
Attaroa restait imperturbable et on ignorait si elle approuvait
ou non les justifications d’Epadoa, qu’elle fixa d’un regard las avant de
tourner les talons, laissant Epadoa et ses Louves monter la garde devant l’Enclos.
Mais un sifflement aigu et puissant l’arrêta sur le seuil de sa caverne. Son
sourire narquois se figea et ce fut avec effroi qu’elle vit arriver les deux
chevaux au triple galop depuis l’autre bout du pré. Elle pénétra
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