Le grand voyage
point elle avait
abusé de son pouvoir, et l’ampleur des dommages qu’elle avait causés. Elle
craignait pour son propre esprit, et aussi pour la vie du Camp.
Le silence tomba dans l’habitation. Ayla se leva et prit le
récipient dans lequel infusaient les herbes.
— Laisse-moi faire l’infusion, cette fois-ci, demanda-t-elle.
J’ai un mélange d’herbes délicieux.
S’Armuna acquiesça sans un mot et Ayla fouilla dans sa poche à
médecines.
— J’ai repensé aux deux jeunes infirmes de l’Enclos, dit
Jondalar. Boiter ne les empêchera pas de devenir tailleurs de silex, si seulement
ils trouvaient quelqu’un pour leur apprendre. Il doit bien exister un tailleur
parmi les S’Armunaï. Tu devrais en parler à la prochaine Réunion d’Été.
— Nous n’allons plus aux Réunion d’Été des S’Armunaï,
déplora la vieille femme.
— Ah, pourquoi ? s’étonna Jondalar.
— Attaroa ne veut plus, expliqua S’Armuna d’une voix
éteinte. Les autres n’ont jamais été très bienveillants à son égard. Son propre
Camp la tolérait à peine. Lorsqu’elle a pris le pouvoir, elle a rompu avec tout
le monde. Peu après son accession au rang de Femme Qui Ordonne, certains Camps
ont envoyé une délégation pour nous convier chez eux. Ils avaient dû apprendre
que de nombreuses femmes vivaient sans compagnon. Attaroa les a renvoyés avec
des insultes, et elle s’est peu à peu aliéné tous les autres S’Armunaï.
Maintenant, nous n’avons plus aucune visite, ni de parents ni d’amis. Tout le
monde nous évite.
— Finir comme cible, suspendu à un poteau n’est pas une
perspective réjouissante, commenta Jondalar.
— Je t’ai bien dit qu’elle devenait de plus en plus
cruelle. Et tu n’étais pas la première victime. Il y a quelques années, un
étranger qui entreprenait le Voyage s’est présenté. En voyant tant de femmes
vivre apparemment seules, il s’est montré arrogant et condescendant. Il s’est
imaginé qu’on allait l’accueillir à bras ouverts. Attaroa a joué avec lui comme
un lion avec sa proie, et elle a fini par le tuer. Mais le jeu lui avait
tellement plu qu’elle a recommencé avec tous les visiteurs. Elle s’amusait à
les avilir en leur faisant toutes sortes de promesses avant de se débarrasser d’eux.
Elle avait la ferme intention de recommencer avec toi, Jondalar.
Ayla, qui versait des plantes calmantes dans l’outre où elle
préparait l’infusion, frissonna en entendant S’Armuna.
— Tu as raison, fit-elle, elle n’est plus humaine. Quand
Mog-ur parlait des mauvais esprits, je croyais qu’il s’agissait de légendes, d’histoires
destinées à faire peur pour inculquer la bonté aux enfants. Mais Attaroa n’est
pas une légende. C’est le mal en personne.
— Tu dis vrai. Quand les étrangers cessèrent de venir,
Attaroa s’est servie des hommes de l’Enclos, poursuivit S’Armuna, incapable de
s’arrêter maintenant qu’elle avait décidé de raconter ce qu’elle gardait enfoui
depuis si longtemps. Elle a commencé par les plus forts, les meneurs, les
rebelles. Il reste de moins en moins d’hommes, et les survivants perdent le
goût de la révolte. Elle les laisse mourir de faim, les expose au froid et aux
intempéries. Elle les enferme dans des cages ou les attache. Ils ne peuvent même
plus se laver et beaucoup meurent de froid ou de malnutrition. Pire, peu d’enfants
naissent pour remplacer les morts. Le Camp est en train de disparaître. La
grossesse de Cavoa en a surpris plus d’un.
— Elle a certainement réussi à entrer dans l’Enclos pour y
retrouver un compagnon, suggéra Ayla. Sans doute celui dont elle s’est éprise.
Tu dois savoir cela, S’Armuna.
S’Armuna le savait, en effet, mais elle s’interrogeait sur l’étrange
divination de la jeune femme.
— Certaines femmes réussissaient à se glisser dans l’Enclos
pour voir les hommes, elles apportaient à manger quand elles le pouvaient.
Jondalar a dû te le raconter.
— Non, je ne lui ai rien dit, assura Jondalar. Et je ne
comprends pas pourquoi les femmes ont accepté que les hommes soient enfermés.
— Elles avaient peur d’Attaroa. Rares étaient celles qui l’approuvaient,
et la plupart auraient bien aimé vivre avec leur compagnon. Mais maintenant,
elle menace d’estropier leurs enfants.
— Dis aux femmes de libérer les hommes, ou il n’y aura plus
de naissances, ordonna Ayla d’un ton qui fit frémir Jondalar et S’Armuna.
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