Le grand voyage
expliqua
Ayla. Il fait trop chaud dans la journée... Tu en auras peut-être besoin, toi
aussi.
— Tu en fais une pour moi ? s’étonna-t-il en souriant.
Comment as-tu deviné que j’y ai pensé toute la journée ?
— Une femme du Clan doit apprendre à prévoir les besoins de
son compagnon, répondit-elle, amusée. Tu es bien mon compagnon, n’est-ce
pas ?
— Absolument ! Tu es ma femme du Clan ! s’exclama-t-il
en riant. Et nous l’annoncerons à tous les Zelandonii à la Cérémonie de l’Union
dès la première Réunion. Mais dis-moi, comment peux-tu prévoir mes
besoins ? Et pourquoi les femmes du Clan doivent-elles apprendre
cela ?
— Oh, ce n’est pas compliqué. Il suffit de se mettre à la
place de l’autre. Il faisait chaud aujourd’hui, alors j’ai pensé à me fabriquer
une couverture pour la tête... un chapeau de soleil... et je savais qu’il
faisait chaud pour toi aussi, expliqua-t-elle en ramassant un autre brun de
saule qu’elle ajouta à la chose vaguement conique en train de prendre forme.
Les hommes du Clan n’aiment pas demander, surtout s’il s’agit de leur confort.
Ils considèrent que ce n’est pas viril. La femme est donc obligée de deviner. L’homme
protège la femme du danger, en échange, elle le protège à sa façon. Elle s’assure
qu’il a de bons vêtements, qu’il mange bien. Elle ne veut pas qu’il lui arrive
malheur, sinon, qui les protégerait, elle et ses enfants ?
— Et c’est ce que tu fais ? Tu me protèges pour que je
puisse te protéger ? Et tes enfants aussi ? demanda-t-il, l’œil
pétillant de malice.
— Euh... non, pas tout à fait, concéda-t-elle en baissant
les yeux. Mais je crois que c’est comme ça qu’une femme du Clan montre à son
compagnon qu’elle l’aime, qu’elle ait ou non des enfants.
Elle s’absorba dans l’ouvrage qu’elle confectionnait de ses
mains agiles, mais Jondalar savait qu’elle n’avait pas besoin d’yeux pour
tresser. Elle aurait aussi bien travaillé dans le noir. Elle prit une longue
brindille et le regarda en face.
— J’ai vraiment envie d’avoir un autre enfant, avant que je
ne sois trop vieille, déclara-t-elle.
— Tu as tout le temps, assura-t-il en ajoutant une bûche
dans le feu. Tu es encore jeune.
— Non, je vieillis. J’ai déjà... (Elle ferma les yeux pour
compter, les doigts pressés contre sa jambe, épelant les nombres qu’il lui
avait appris.)... J’ai dix-huit ans.
— Tant que ça ! Moi, j’ai déjà vu passer vingt-deux
hivers. C’est moi qui suis vieux.
— S’il nous faut un an de voyage, j’aurai dix-neuf ans
quand nous arriverons chez toi. Dans le Clan, ce serait déjà presque trop tard
pour avoir un enfant.
— Nombreuses sont les femmes Zelandonii qui enfantent à
cet âge, affirma-t-il. Peut-être pas leur premier enfant, mais le deuxième ou
le troisième. Tu es en bonne santé, tu es forte, non, tu n’es pas trop vieille
pour avoir des enfants. Pourtant, tu as parfois un regard d’ancêtre, comme si
tu avais vécu plusieurs vies en dix-huit ans.
Elle posa son ouvrage et le dévisagea, frappée par cette
réflexion surprenante venant de lui. Elle lui faisait presque peur. Elle était
si belle à la lueur des flammes, et il l’aimait tant, qu’il deviendrait fou s’il
lui arrivait malheur. Bouleversé, il détourna les yeux et s’efforça de
plaisanter.
— Et moi, que devrais-je dire ? Je suis prêt à parier
que je serai le plus vieux à la Cérémonie de l’Union ! s’exclama-t-il en
riant. Un homme qui s’unit pour la première fois à vingt-trois ans, c’est rare.
La plupart des hommes de mon âge ont plusieurs enfants dans leur foyer.
Ayla déchiffra dans son regard un mélange d’amour éperdu et de
peur.
— Ayla, je veux que tu aies un enfant, mais pas pendant le
Voyage. Pas avant que nous soyons rentrés sains et saufs. Plus tard.
— Oui. Plus tard.
Elle travailla en silence, songeant au fils qu’elle avait laissé
auprès d’Uba, et à Rydag, qu’elle avait considéré comme son fils à bien des
égards. Elle les avait perdus tous deux. Même Bébé qui avait été un fils pour
elle, aussi étrange que cela pût paraître, même Bébé l’avait quittée. Elle ne
le reverrait plus jamais non plus. Soudain, inquiète de le perdre, elle regarda
Loup. Pourquoi mon totem m’enlève-t-il tous mes fils ? se demanda-t-elle.
La malchance doit peser sur moi.
— Jondalar, y a-t-il des
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