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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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visage craquelé d’émotion. « Ah ! là là », répéta-t-il. Son dos se voûta ; son être tout entier fut secoué, envahi par un sentiment d’irrémédiable impuissance – le premier de sa vie, sans doute – et par le désespoir d’avoir immolé tant de cœurs vaillants à sa cause, et de devoir sans doute en sacrifier encore. Sa main se leva vers ses yeux, et sans s’étonner d’éprouver un contentement ineffable, Ogier entrevit une goutte sur la joue poilue de son oncle.
    — Allons, allons, soupira le vieillard, pas plus qu’à la force, ne cédons à la faiblesse. Jamais je n’oublierai leurs noms et leurs figures.
    Et fermement à Clergue qui s’approchait :
    — Faites-les ensépulturer le mieux possible.
    Ogier vit que le cordelier était pâle, rasé ; ses joues, ses fanons s’étaient dégonflés ; son ventre aussi. Il traînait une tristesse de grand malade et sa peur, déjà virulente, empirait.
    — Bressolles va revenir, j’espère… Cela fait une dizaine de jours…
    — Onze, précisa Blanquefort. Venez, baron, et vous aussi, Ogier. Il ne faut plus quitter les aleoirs.
    Ils remontèrent sur les parois. Hormis les fossoyeurs, tous les hommes capables de se battre les suivirent, muets : la grande joie de la nuit, quand flambait le beffroi, s’était éteinte avec l’abominable machine. Savoir que quatorze compagnons manquaient n’était rien tant qu’ils n’avaient pas vu leurs dépouilles, mais imaginer qu’ils pouvaient, avant la fin de la matinée, devenir semblables à ces malheureux amoindrissait leur courage.
    — Placez-vous tous face au camp de Canole, dit Blanquefort. Vous savez ce qu’il faut faire s’ils nous assaillent encore : repliez-vous vélocement au donjon.
    Devant eux, les collines embrumées semblaient autant de corps émergeant des étuves. Des oiseaux chantaient ; cependant, malgré les pépiements, les roucoulements et les trilles, ce lever du jour parut à Ogier le plus triste de tous. En dépit de sa prouesse, la mortelle aventure continuait. Il était si profondément mêlé à la guerre et si confondu à son cruel tumulte qu’il lui semblait entendre, bien que ses compagnons fussent silencieux, des clameurs et des cliquetis d’acier.
    — Nous leur résisterons, dit Guillaume. Même au donjon…
    Sans transition, il fit clair. Les brouillards se dissipèrent. Il y eut des rumeurs et des appels de trompes dans le camp des Anglo-Gascons.
    — Que font-ils, mon neveu ? demanda le baron dont la vue baissait.
    — Ils sont prêts à monter. Canole va venir avec une petite ambassaderie.
    — Attendons-les.
    Voyant les ennemis s’engager en bon ordre sur le chemin d’accès, Ogier se surprit à trembler. Jusqu’où iraient la passion dévastatrice et l’insondable avidité de ce maudit Anglais ? Il lui répugnait ; cependant, il ne pouvait s’empêcher d’éprouver une sorte d’intérêt malsain à son égard.
    — Par quelle mauvaiseté va-t-il essayer de prendre sa revanche ?
    Le garçon ne put résister à la curiosité que lui inspirait cet homme, tant qu’il fut éloigné des murailles ; mais il recula, pour se dissimuler à ses regards lorsqu’il surgit, tête nue, en grand apparat, précédé de son héraut, flanqué de ses connétables, et suivi d’Enguerrand de Briatexte, lui-même devançant une cohorte de picquenaires.
    — Vieux cornard ! Es-tu là ? Trembles-tu à l’abri de ces écus que tu fis suspendre à tes merlons, et qui, s’ils prouvent justement la vaillance de quelques-uns des tiens, ne me font pas oublier que cette nuit tu n’étais pas dans l’embûche !
    — Et toi, où étais-tu ? grogna Guillaume.
    Il parut satisfait qu’Ogier, Blanquefort, Pedro del Valle et Girard l’eussent entouré. Muets, ils écoutèrent les molestes de l’Anglais.
    — Montre-toi, vieux couard ! Et ne crains rien : tant que je n’aurai pas fait un geste, tu seras en sécurité ! Come on, show us your ugly face [132]  !
    Tandis qu’en agitant son marteau d’armes, le Goddon poursuivait ses invectives, Ogier regarda son camp. Les hommes s’y apprêtaient en silence. Des haies de piques scintillantes, dans les prés, indiquaient les compagnies à la manœuvre. Des Anglais les composaient : elles évoluaient en bon arroi, derrière deux bannières. Les bœufs et les vaches capturés étaient parqués en lisière des Banchereaux, et les chevaux un peu plus loin. Une colonne de porteurs de seaux et de

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