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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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il entraîna son neveu et son messager vers un baril, prit un hanap, au-dessus, et d’un souffle en dispersa la poussière. Ensuite il ouvrit le robinet de la cannelle.
    — Buvez, Girbert, dit-il. C’est un grenache de trente ans. Une lampée de cet élixir vaut bien deux tranches de bœuf.
    Le maçon obéit, mais sans se délecter. Alors, le baron remplit derechef le récipient et, le levant bien haut :
    — Par ce vin clair que j’ai mis là-dedans, par cette épée que je porte à mon flanc et qui n’a jamais connu le déshonneur, et par les saints qui ont servi Jésus, malheur, malheur, malheur à Canole !
    Il avala d’un trait, s’essuya, de l’avant-bras, bouche et moustache, et reposant le hanap :
    — Apprêtez votre esconse, Bressolles. Abaisse ton flambeau, mon neveu…
    Le maçon alluma la chandelle et l’introduisit dans la lanterne.
    — Ouvre, Ogier… Baille-lui cette torche… Hâte-toi de dégager cette ouverture !
    Deux poussées suffirent au garçon pour déplacer la dalle. Une odeur de gouffre, quelque chose de tragique et de poisseux, lui bondit aux narines. Les flammes que Guillaume brandissait dans son poing, soufflées par cet air sépulcral, se diluèrent en fumée noire, comme une seiche effrayée, puis de nouveau rougeoyèrent. Alors, imitant son neveu, le baron se pencha au-dessus de l’escalier dont les spires taraudaient les ténèbres.
    — Allons, Girbert, dit-il. Il est temps… Méfiez-vous de la lune et des ombres.
    Le Carcassonnais descendit quelques degrés, tapa du poing contre une poutre de soutènement pour juger de sa solidité, puis accepta l’épieu qu’Ogier lui présentait.
    — N’ayez crainte, dit Guillaume, le puits s’enfonce loin, mais il n’atteint pas le seuil de l’enfer.
    — Si Satan se trouvait en bas, messire, comment pourrait-il nous observer ?… Qui sait s’il n’est pas au Ciel, occupé par quelque chasse aux anges ?
    Et Bressolles s’évanouit dans les profondeurs, puis ses pas et enfin sa lumière.
    Sur un signe de son oncle, Ogier remit la dalle en place et poussa un coffre au-dessus. Il fit froid tout à coup sous les arceaux massifs où les flammes des pharillons pétillaient.
    — Éteins-les, dit Guillaume, et remontons. Par ce Ciel dont il parlait, si ce maçon est hérétique, nous ne le reverrons plus. S’il revient, c’est qu’il est aussi bon chrétien que nous.
    — Il reviendra, mon oncle. Sa foi en Dieu est aussi solide que la nôtre.
    — Quel homme !… C’est de grand cœur qu’il a embrassé cette ribaude… J’arrivais quand je les ai vus.
    — Oui, murmura Ogier, de grand cœur. Mais qui sait pourquoi certains d’entre nous deviennent des linfars, des truands, des chevaliers ou des ribaudes !… Notre voie est peut-être tracée avant même que nous soyons sortis du ventre de notre mère… Il m’importe d’ailleurs peu de savoir où l’avenir me mènera, et en quelles compagnies…
    — Tu peux avoir au moins cette certitude, Ogier : quelle qu’elle soit, pour chacun d’entre nous, riche ou pauvre, bon ou mauvais, vaillant ou couard, cette voie nous conduit tous à la mort… Et quand on y songe, bien qu’il existe un Paradis, l’existence n’est rien d’autre qu’une punition terrible !
    — Vous parlez presque comme Bressolles, mon oncle ! releva le damoiseau.
    — Bressolles ! Bressolles !… Sais-tu ce que je vais faire ?… Non, sans doute !… Eh bien, de ce pas, je vais aller prier pour lui !

II
    — Calixte est mort, dit Guillaume.
    — Avec Gilles, Griveau, Ybert et Gerri, cela fait cinq.
    — Eh oui, mon neveu… Des gars creusent pour eux le sol de la chapelle.
    — Et les blessés ?
    — Une dizaine.
    Rejoignant, derrière un merlon, Bernier, un palefrenier roux, moustachu et rougeaud, Ogier se pencha :
    — Que nous préparent-ils ?
    Le soleil à peine éclos avait dispersé les brumes de l’aurore. Des fumées pâles, onduleuses, les remplaçaient : celle des feux chauffant les chaudrons de la maraudaille dont parfois des ribaudes allaient touiller le contenu.
    — M’ont surtout l’air de s’occuper de manger ! dit Guillaume.
    — Ils n’ont guère de quoi festoyer longtemps, mon oncle. Ils disposent en tout et pour tout, dans vos pâtures, d’une trentaine de moutons et d’autant de bœufs et de vaches, qu’ils ne peuvent sacrifier, puisqu’ils tirent leurs engins…
    Bernier hocha la tête, maussade :
    — Quand ils n’auront

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