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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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mes conditions…
    Ses conditions ! Avec l’emprise des Goddons chaque jour plus étroite, elle pensait à s’en aller !
    Il se pencha. Recroquevillée sur le flanc, ses longs cheveux rabattus sur sa nudité, Aliénor écoutait, le regard chargé d’étonnement et les lèvres pincées.
    Ils virent bouger la clenche, mais le verrou maintint le battant immobile.
    — Je sais que tu es là… Tu ne clos pas cet huis, d’ordinaire… Ces conditions, je suis prête à les tenir et t’en donnerai la raison… Ouvre !
    De nouveau, le damoiseau se pencha et fut rassuré : Aliénor souriait. D’un mouvement, elle pouvait révéler sa présence ; elle n’en ferait rien. À sa place, Margot certainement eût ri, toussé, fait tomber un objet ; elle, elle était loyale. Il l’en remercia d’un geste puis, allant doucement à la porte, il y colla son oreille.
    Les pas décroissaient dans l’escalier.
    — Bouge pas, dit-il en s’approchant du lit. Elle peut revenir.
    — C’était ta cousine.
    — Oui.
    — Ta crainte d’être vu avec moi m’ébahit. Ne l’aimerais-tu pas ?
    — Moi ?… Tu es folle !
    Il protestait. Mal. Il aurait dû s’ébaudir, or une chape de gravité tombait sur ses épaules en même temps qu’il était saisi d’une anxiété confuse où tous ses désirs, ses espoirs, ses velléités se mélangeaient avec une violence incroyable, suffocante : Tancrède s’était offerte, il avait dû la refuser.
    Soudain, il eut peur :
    — Surtout, Aliénor, ne va pas répandre autour de toi cette sornette.
    — Que tu l’aimes ou non n’est pas mon affaire.
    Et brutalement, car elle se sentait en état de supériorité :
    — Tu me permets de revenir ?
    — Il vaut mieux que tu attendes.
    Elle se leva ; cuisse, hanche, sein : son profil pur se détachait sur les pierres de la muraille. Une grâce équilibrée, mais ce n’était qu’une apparence ; elle se révélait au lit, dans ses secrets, ses ombres, ses moiteurs et ses remuements. Il ne s’expliquait pas cette vivacité furibonde. Peut-être avait-il été le prétexte et l’instrument d’une revanche. Vautrés sur elle sans respect ni douceur, et plongeant dans son corps sans jamais la combler, les manants l’avaient toujours humiliée. Elle savait qu’il existait autre chose par-delà ces fades et rudes accommodements. Elle avait dû penser qu’avec lui, Ogier, élevé dans les bonnes façons des nobles, tout serait différent.
    — Tu aurais dû me laisser faire.
    Il éprouvait pour elle une sorte d’amitié. Quand il l’avait trouvée au sommet de la tour, elle était comme une bête aux abois. Elle ne pouvait prendre son parti d’être toujours rudoyée, de fournir du plaisir aux hommes sans jamais en éprouver. Un sourire apparut sur ses lèvres boudeuses :
    — Je sais que j’ai mal agi. Et l’autre qui arrive et gâche tout. Pas vrai, messire ?
    Saisissant le garçon aux épaules, elle l’appuya contre ses seins avec tant de forcennerie qu’il eut du mal à se dégager.
    — Refaisons-le vélocement.
    Dans les yeux écarquillés de cette affamée, c’étaient toujours les fulgurations noires.
    — Recommençons, veux-tu ?
    Il se baissa, saisit la robe et la camisole :
    — Tiens… Habille-toi…
    — Plus tard… J’aime être ainsi… La nuit, j’allais me tremper nue dans l’Isle… L’eau, c’est comme une grande main froide… une grande bouche qui vous avale et vous prend tout à la fois : le tour et le dedans… Tu aimes ?
    Ogier ne répondit point. Sans qu’elle s’en doutât, Aliénor perturbait sa quiétude et lui livrait, inversement aux autres, son âme après son corps. Il garda le silence. L’ayant subie, pour ainsi dire, il éprouvait un étrange apaisement à l’entendre.
    — Tu sais, ta Tancrède, elle ne te donnera rien de mieux que moi… Elle n’est pas faite autrement… Et puis, tu l’as vue, dans ses vêtements d’homme ? Pour qui qu’elle se prend ?… Elle pissera jamais contre un mur.
    Plus encore que celui de la jalousie, ce langage était celui de l’aversion. Il déplut à Ogier, en même temps qu’il le réjouissait.
    — Allons, allons, tais-toi… Enfile tes vêtements.
    — Non.
    Aliénor bâilla, et c’était la première fois que le garçon voyait un bâillement si languide, excitant. Au fond de lui, une flamme légère s’anima :
    — Bon, capitula-t-il, si tu veux demeurer, demeure… Après tout, il n’est pas souhaitable

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