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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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notre chapelain… Il ne s’indigne pas que tu donnes la mort. Comment réprouverait-il que tu donnes la vie ?
    — Moi ?
    Ogier voulut s’éloigner ; Tancrède le retint par un coude :
    — Cousin !
    — Non ! dit-il, répondant à ce vœu informulé auquel Mathilde se ralliait à petits coups de tête. Une fois morte, corps et âme, la Lucie appartient à Dieu dans son intégrité.
    — Justement ! triompha Mathilde. Et son intégrité, c’est sans cet enfant qu’elle a porté neuf mois… Il mérite un berceau, pas un tombeau !… Je sais bien que, dès sa naissance, il sera orphelin… Mais je m’en chargerai… On n’a pas le droit de le sacrifier !… Et à qui ? À la fois à Dieu et à Canole !
    Le regard mauvais, les joues teintées de rouge, elle s’approcha du damoiseau :
    — Ne crois-tu pas qu’il y a suffisamment de morts de notre côté, pour en ajouter deux à la fois quand un seul suffirait ? Et puis quoi ? Ce ne sera pas le premier nonnat [53] qui verra le jour !
    L’indignation d’Ogier tomba. Il s’en voulut d’être venu au donjon ; mais peut-être, après tout, était-ce la volonté de Dieu… ou du diable !
    Le visage de Mathilde avait pris une telle expression d’espérance qu’un instant, il en fut troublé. «  Après tout, elle est bien meilleure que je ne le pensais ! » Quant à Tancrède, elle le dévisageait avec une bienveillance inaccoutumée.
    — Comment faire ? demanda-t-il.
    — Nous n’avons qu’à porter la Lucie dans ma chambre.
    — Non, dans la mienne, dit la commère. Deux sergents m’aideront : Calmels et Raymond. Avec eux, aucun danger.
    Ces deux-là, oui, songea Ogier, on pouvait compter sur leur silence. Dès qu’il le pourrait, il les interrogerait sur ce qu’ils avaient vu à Gratot.
    Mathilde fouilla dans sa jupe et lui tendit une clé.
    — Vous savez où c’est. Allez-y, et pour qu’on ne vous voie pas, attendez dans mon armoire. Elle est grande et vide… et vous saurez pourquoi.
    Tancrède s’apprêtait à suivre le garçon ; la commère l’en empêcha :
    — Non, toi reste avec moi… On va dire qu’on fait monter chez moi la Lucie pour qu’elle y ait une mort paisible. Je sais comment la redescendre… après.
    — Soit, dit Tancrède, en frottant sa manche là où Mathilde l’avait attrapée.
    Elle riva ses yeux sur ceux de la grosse femme.
    — Cette Adèle était-elle mariée ?
    — Non… Son enfant, c’est Saint-Rémy qui le lui avait fait.
    Ogier se dirigeait vers l’escalier. Il s’immobilisa et se retourna :
    — L’affreux couillard !
    — Eh oui, approuva Mathilde. Il s’est d’ailleurs vanté de l’avoir troussée dans les champs. Jamais il n’a été inquiété… Calixte était un petit… Trop petit pour faire justice… Guillaume était à la guerre… Il n’aurait d’ailleurs pas affronté son parent pour si peu.
    — Pourtant, il aurait dû, dit Tancrède. Mon oncle me fait peur.
    S’adressant à Ogier, elle s’exclama, acerbe, accusatrice :
    — Tu aurais dû le laisser à Canole ainsi que les trois autres !
    Puis, tournée vers Mathilde :
    — Et l’enfant que tu portas à Thiviers, chez ta sœur… Cette fille qu’on a dû prendre pour quelque bâtarde… a-t-elle vécu ?
    Ce secret, entre eux, n’avait plus aucune raison d’être. La commère rejeta sa tête en arrière, fièrement :
    — Oui… Une belle enfant blonde comme sa mère, mais qui ne boitait pas… Quand elle a été en âge de rendre service, je l’ai fait conduire ici par une voisine de ma sœur… et je l’ai prise tout d’abord aux cuisines. Nul n’a cherché à savoir qui elle était vraiment… Seul Griveau savait… Elle est morte, hélas ! en ces murs. Violée, étranglée… Le malandrin qui fit ça vit toujours, sans doute.
    Ogier, frémissant, demanda :
    — C’était donc elle ?
    —  Eh oui, c’était Gersende.
    — Gersende !
    Ogier ne se détourna pas. Mieux valait qu’il imaginât Tancrède en cet instant de stupeur, plutôt que de voir son visage.
    Il s’engagea dans l’escalier du donjon. Mathilde y avait sa chambre tout en haut, non loin de celle de Pedro del Valle.
    Les degrés qu’il se mit à monter lui parurent d’une hauteur excessive.
    Immobile au chevet du lit, Mathilde tâtait le pouls de Lucie. En face, dans la ruelle, adossée à la muraille, Tancrède contournait d’un regard léger le ventre boursouflé sous la futaine grise.
    — Les

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