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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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parle, tu le sais, en connaissance de cause. J’ai trop souvent vu autour de moi des chevaliers préoccupés d’accomplir seuls des actes glorieux… Mais va donc leur dire qu’une bataille est un heurt de vaillances réunies, solidement liées l’une à l’autre, sans outrance inutile et convergeant vers un but qui est la victoire de tous !… Ils te riront au nez.
    — Ceux d’en face sont-ils tellement différents de nous ?
    Guillaume eut un geste las des deux mains :
    — J’en ai souvent douté mais commence à le croire. Mes compains et moi-même, quand nous avions vingt ans, avons souvent pensé déchoir si nous n’approchions point le danger de fort près. Nous nous serions crus indignes de nos pères et de nos aïeuls en désapprouvant les décisions de nos capitaines encore plus avides que nous d’honneur et de renommée. Nous nous serions honnis les uns les autres en renonçant de courir sus à l’ennemi dans l’espérance d’un corps à corps… Ah ! que de nobles et belles vies préservées si nous avions pensé, un tout petit moment, que l’adversaire était solide, astucieux, et que sa sérénité, que nous prenions pour de la couardise, était sa plus grande vertu !… Je te l’ai déjà dit, Ogier : à Courtrai, il y a plus de quarante ans [72] , les Flamands étaient disposés en conroi [73] derrière un canal fangeux, la plupart à pied, un godendac pour arme. Nos chevaliers galopèrent sans hésiter en hurlant leur enseigne… Six mille périrent noyés sans même avoir pu atteindre un seul ennemi.
    — Bêtement.
    Guillaume soupira. Il était pâle, devenait ossu, grognard, sans doute en raison des excessives privations qu’il s’infligeait à table comme si ces macérations, que Mathilde désapprouvait, le désignaient à l’attention du Très-Haut. Il passa la paume de sa dextre nue sur ses yeux :
    — Je ne vais pas pleurer cette immense défaite à laquelle mon père a survécu par miracle… pour trouver la mort au Mont-Cassel… Une mort victorieuse, si j’ose dire [74] . Nous avons tous été élevés et dressés de semblable manière. Aucun de nous n’a eu pour parent un chevalier mort en chambre, mais en grande bataille, par l’acier froid… Et je ne veux pas porter le reproche de faire autrement… Qui sait pourtant où je mourrai ?… Je ne suis pas seul en ces murs. Il y a mes hommes, les femmes, les enfants… mes filles et ces avolés [75] d’un hameau qui porte aussi mon nom.
    — Vous n’êtes pas, nous ne sommes pas près de mourir !
    — Bah !… Bah !… Qu’en sais-tu ? Te sens-tu à l’aise dans tout ce fer ?
    — Oui.
    — Regarde dans la haute cour. Ce gars-là me plaît, mon neveu.
    C’était Jean du Taillis, en conversation avec Pedro del Valle.
    — Il me plaît aussi : il se bat comme un preux avec seulement son arc. Blanquefort, cependant, lui a offert une épée.
    — Bien que ce soit contraire aux usages, il la mérite.
    — Je le pense aussi, mon oncle.
    Ogier s’exprimait avec sincérité. Ce qu’il aimait en ce rustique, c’était son courage, certes, mais également sa passion d’aider, d’être utile ; ce désir profond de sauver Rechignac comme si ce château et les terres à l’entour étaient siens. Cette volonté, aussi, du devoir d’assistance : il visitait souvent le tinel et les deux chambres du donjon où Mathilde et ses femmes, Tancrède, Claresme et leurs chambrières ainsi qu’Adelis soignaient et réconfortaient les blessés. Depuis le départ de Bressolles, le trompeor traitait Adelis en dame, bien qu’il sût sans doute à quoi s’en tenir sur son passé. Lors des assauts, il s’exposait plus que tout autre et s’il éprouvait comme une volupté à occire du Goddon, eh bien, c’était Knolles le responsable.
    — Il vaut deux ou trois hommes à lui seul, mon oncle.
    Le baron acquiesça de la tête :
    — La vaillance le distingue de sa condition. Blanquefort a dû voir en lui un second lui-même.
    — Votre dapifer est un preux.
    Ogier avait sciemment employé l’antique appellation. Le mot dapifer désignait chaque officier de la Maison Royale et particulièrement le Maître d’Hôtel : le plus important et le plus respecté des serviteurs.
    Fût-ce pour dévier le cours de leurs propos juste au moment où il s’apprêtait à célébrer les vertus du sénéchal ? Ogier vit l’index de Guillaume se tendre derechef vers la cour.
    — Regarde, mon neveu !… Ce sont aussi

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