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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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des preux à leur façon.
    Quatre hommes portaient un tronc d’arbre destiné à la consolidation des entrées.
    — Norbert, Peyre, Clovis et Barthès.
    — Je les connais un peu.
    C’étaient des hommes d’en bas. Des culverts désormais dénués de tout, sauf de courage.
    — Je les ai mésestimés, je l’avoue.
    — Moi de même, avoua Ogier. Je m’en repens.
    Il les avait vus quelquefois sur le seuil de leur maisonnelle, attendant la soupe en sondant le ciel pour prédire le temps du lendemain. Il les avait vus encore et surtout en âpre lutte contre la terre, la mordant de leurs socs de bois, écobuant, débroussaillant. Cette obstination forcenée, il l’avait retrouvée sur les aleoirs quand eux aussi, l’arc ou l’arbalète en main, ils contrestaient [76] aux ennemis.
    « Ils ne défendent pas que leur vie. Ils défendent mon oncle… qui ne s’en est guère soucié jusque-là, hormis au temps des récoltes. »
    Le damoiseau se mit soudain à penser à son pays. Sans qu’il le connût, il le vit, ce royaume de France, saigné à blanc par les combats, déchiqueté par Édouard III et ses meutes. Une pauvre nation paysanne, faite de fiefs minuscules, et d’autres, plus dérisoires encore puisque composés d’une masure, d’une grange et parfois d’un grenier ; le plus souvent, un assemblage de cahutes où il n’eût même pas accepté de coucher une nuit… Tout cela sous la dépendance d’un roi injuste, enclin coûte que coûte aux splendeurs d’une Grandeur inféconde, et de puissants vassaux dont Guillaume affirmait qu’ils étaient corrompus.
    Et brusquement, il se sentit apparenté à ces quatre hommes barbus, aux yeux clairs, à la bouche lippue. Tous, entre ces murs qui ne leur appartenaient pas, s’adonnaient farouchement à leur tâche. Il crut comprendre qu’il fallait à l’existence, pour qu’elle atteignît son plein sens, le contraire de la chance et de la facilité.
    — Un orage, Ogier, serait le bienvenu. Il mouillerait leur merrain [77] et noierait leur courage… Car il faut l’avouer : ils en ont !
    — Parfois plus que nous.
    — C’est vrai… Profite donc de cette bonace !
     
    *
     
    Le damoiseau redescendit dans la cour. Mathilde, seule au puits, marcha à sa rencontre. Elle riait.
    — La Clémence vient d’enfanter… Pour sûr qu’elle a été plus prompte que je m’y attendais… Comme ça, elle aura deux gars… Et comme ses tétons sont aussi gros que des melons, notre Raoul risque pas de jeûner.
    — Clémence n’est pas ébaubie d’avoir deux fils ?… Comment avez-vous procédé ? Est-ce qu’ils se ressemblent ?
    — Leurs cheveux, leurs nez, leurs yeux sont les mêmes… Comment j’ai fait ? Le temps qu’Adelis apporte l’enfant dans ma chambre, j’ai versé un breuvage à la femme… Quand elle a rouvert les yeux, le petit était dans son lit avec l’autre… Ah ! là là… Voilà un poids de moins sur notre conscience.
    « Ou de plus », songea Ogier tandis que, reculant d’un pas, la commère considérait l’armure.
    — Ça vous va mieux qu’à l’autre.
    —  Que savez-vous d’elle, Mathilde ?… Sommes-nous cousins ?
    Du plat de la main, la grosse femme effleura le plastron scintillant.
    — Tout ce fer pèse lourd, mais vous le supportez bien !
    Elle partit, son seau plein à la main, les fesses dodinantes sous sa robe noire, fripée.
    « Pour elle tout est simple. »
    À demi satisfait, Ogier marcha jusqu’à la forge. Claresme en sortait, l’air désolée.
    — Ils sont là ?
    — Non, cousin.
    Elle courut vers le donjon.
    « Elle alors !… Il suffit de la regarder dans les yeux pour qu’elle rougisse. »
    L’opposée de Tancrède. Tellement différentes qu’elles semblaient cousines plutôt que sœurs. L’une craintive et vergogneuse ; l’autre affirmant ses formes, sa robustesse et son orgueil. L’armure lui seyait presque autant que ses habits ordinaires. Elle la supportait alors que Claresme se serait pâmée sous son poids… Mais qui l’avait aidée à s’en vêtir ?… Ce ne pouvait être Pedro del Valle. Pas plus qu’elle n’eût toléré que le Tolédan déshabillât sa sœur, Claresme n’aurait supporté qu’il l’habillât – fût-ce de fer. Alors qui ? Blasco ? Martinez ?
    Ogier prit sur l’enclume son haubert et son épée. Ah ! comme il conserverait soigneusement ces reliques… Sans en comprendre la raison, il se sentit triste. Et seul. Et

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