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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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las de le porter, il pèse et contraint mes épaules, mes membres. »
    En l’amenant dans ces profondeurs lugubres, Tancrède avait-elle prévu ces inconvénients ? Elle y semblait parfaitement à l’aise.
    — Sept pas de long, dit-il, une fois le dernier tonneau roulé et dressé de chant devant les autres. Six de large. Cette lice, cousine, te convient-elle ?
    Sa voix vibrait dans cette crypte immense et compartimentée qu’il connaissait à peine. Le sol en était dallé. Aux nervures de la voûte, et retombant deux à deux sur les piliers des parois latérales, pendaient des jambons, des vessies bourrées de graisse, pareilles à des courges noires, des quartiers de bœuf séchés sous la cendre, des chapelets d’aulx et d’oignons, des saucissons et saucisses.
    — Si nous étions plus nombreux, nous pourrions tenir deux ou trois mois tant nous sommes pourvus en pitance.
    Comme Tancrède s’absorbait dans ses pensées, Ogier insista, le regard toujours levé :
    — N’est-ce pas ton avis ?… As-tu faim ? D’un coup de lame, j’abats une saucisse et tu t’en repais !… Quelle est ta préférence ? Grosse et courte ? Longue et mince ?
    — Il me semble ouïr, cousin, les propos d’un huron.
    Elle saisit son bassinet posé sur une caisse et s’en coiffa ; puis elle fit front. Sous le viaire déclos, les flammes révélèrent un visage blême, mauvais. Dans la paix glacée des profondeurs sa voix retentit, soudain froide elle aussi :
    — Sommes-nous descendus céans, cousin, pour discuter de nourriture ?
    Les lueurs léchaient son plastron, rouges, jaunes, nerveuses ; impatiente, elle tapotait son épée.
    — Nous sommes là, cousine, pour satisfaire un plaisir dont nul ne peut nous faire reproche : toi, feindre d’être chevalier ; moi, te dissuader d’une ambition contraire à ta vraie nature.
    Elle rit. Il la trouva soudain belle et terrible tel saint Michel sous sa bannière.
    — Je sais, estremir [89] , beau cousin. Tu sentiras sur toi le vent de cette lame !
    Elle serrait fermement la prise de son arme. Troublé, dubitatif, Ogier fit front :
    — Qui t’a enseigné ça ?… Où ?… Tu m’en as trop dit.
    Elle rit encore, ses cils battirent.
    — Tu t’engrignes et veux tout savoir… Je t’en haïrais presque.
    Il n’eut que faire de cette aversion. Non, il ne se fâchait pas : elle avait fait en sorte qu’il devînt exigeant. Soudain, une idée sans doute absurde fulgura dans son cerveau :
    — Proche de ton couvent vivait un baron de grand renom, bien qu’il fût peu lié avec son voisinage : Guy de Passac.
    — Et alors ?
    Il lui sembla percevoir un frémissement dans la voix de Tancrède.
    — Son château a cramé à la Noël dernière… Certains ont dit qu’il y avait mis le feu avant d’aller se joindre aux Anglais avec toute sa mesnie [90] .
    — Et alors ?
    — Je n’ai jamais vu ce Passac, car je n’ai jamais chevauché de ce côté-là… Ce que j’en sais, c’est qu’il a fait élever ses murailles deux ou trois ans avant l’Écluse et qu’on n’a jamais su d’où il venait… Il était riche, mais point hospitalier… Son écu portait de sable à un faucon d’argent.
    —  Est-ce tout ?
    Ah ! elle commençait à s’irriter.
    — S’il est maintenant l’allié des Goddons, c’est un faucon ignoble [91] .
    D’un geste sec, Tancrède abaissa son viaire, dégaina son épée qu’elle mania aussitôt des deux mains avec une vivacité si furieuse qu’Ogier, pour se soustraire à ces imprévisibles coups de taille, dut lui pousser, du pied, un tonnelet dans les jambes :
    — Eh là ! Que fais-tu des usages ? Ce hobereau [92] ne te les a-t-il point enseignés ?
    Il évita un taillant destiné à son bassinet ouvert et sentit sur son nez le vent sifflant de l’acier. Alors, il s’arma de Confiance.
    — T’ai-je mécontentée ? Passac en est-il cause ?… Tu le connais !… Tu le connais très bien… De la tête à la queue !
    Il riait à nouveau, mais il était gêné, ne sachant s’il devait ménager cette étrange adversaire ou lui administrer, sur les cuissots de fer et le bassinet, une volée de plat de lame. Il se contenta de parer les coups.
    — Passac, cousine, doit atteindre la trentaine. Il a, dit-on, la beauté du diable… Sa femme, Blanche, est de notre âge… On la prétend divinement belle… Tu vois : je sais ! Elle est de mère poitevine et de père Goddon : Richard Gifford. Ces

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