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Le granit et le feu

Le granit et le feu

Titel: Le granit et le feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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allée déjà loin dans l’audace, il pressentit que jamais, sans doute, elle n’atteindrait la suffisance. Auprès d’elle, son esprit et ses sens demeuraient tendus, inquiets, plus enclins à la méfiance et à la gravité qu’au ravissement éperdu. « Tiens, maintenant… », se dit-il. Elle abrogeait par sa seule présence tout ce qui, autour d’eux, paraissait naturel : les pierres de ce portail brunies et comme lissées par les flancs des chevaux ; la pénombre, derrière, bruissante et lourde de l’odeur des bêtes ; et devant, cette cour dont le monticule de terre, en son centre, évoquait la pire épreuve de ce siège harassant. Et c’était comme une dérision qu’elle jouât au chevalier alors que tant d’hommes et de garçons, qui n’avaient jamais ambitionné de l’être, mais s’étaient battus comme tels, fussent allongés, tout à côté, dans les entrailles de la chapelle.
    — Allons, cousine, insista Ogier, quoi que tu dises et fasses, tu seras toujours plus jolie dans un mol tissu, même élimé, qu’en cette brillante écorce !
    Quelque chose le ravageait ; non seulement la tentation de rompre cet entretien stérile, mais le besoin, presque contradictoire, d’entamer une querelle afin qu’il eût, à défaut de ne pouvoir l’étreindre un jour, la satisfaction de la molester sur-le-champ :
    « Ainsi, ma belle garce, tu verrais bien que tu es femme ! »
    Et pour tenter de l’irriter, il s’informa :
    — Et tes seins, que tu as bien dodus si j’en crois encore ma main… sont-ils à l’aise sous ce pourpoint rigide ?
    — Va donc le demander à Jeanne de Clisson ou à Jeanne de Montfort. Le temps que tu mettras à les joindre en Bretagne te permettra de méditer sur ton ânerie.
    — Elles font la guerre ! Et contre notre royaume !
    Soudain, las de cet entretien, le garçon fit un pas au-dehors :
    — Le jour où tu voudras manier ton épée, préviens-moi !
    — Pourquoi attendre, cousin ?… Affrontons-nous maintenant !
    Tant d’autorité laissa Ogier pantois. «  Mais pour qui se prend-elle ? » Il la désarmerait dès le début de leur engagement.
    — En quel endroit veux-tu que nous allions, cousin ?
    Elle insistait. Il sourit :
    — Le seul où j’aimerais te compagner… c’est ta chambre !
    — Viens ! Je connais un lieu où nous serons à l’aise.
    Il la suivit. Elle ne chancelait plus. Elle avait la senestre fermement posée sur la prise de son épée. De la dextre, elle tenait son bassinet serré contre sa hanche.
    — Qui t’a aidée à te vêtir, cousine ?
    — Que t’importe.
    — J’ai ma petite idée…
    — Garde-la.
    Ils franchirent le seuil du donjon et traversèrent le tinel. Aliénor et Adelis, agenouillées, changeaient la charpie d’un blessé à la jambe. Clotilde, debout, les regardait procéder. Voyant la fille du baron en armure, elle eut un haussement d’épaules, et lorsqu’il toucha Ogier, son regard méprisant devint triste, insistant.
    « Elle a eu ce qu’elle souhaitait… Plus encore que ce qu’elle souhaitait. Elle pourrait m’en savoir bon gré… Hélas ! non… Elle croit désormais que je lui appartiens ! »
    Derrière Tancrède, il s’engagea dans l’escalier dont la vis de pierre menait aux caves.
    — Eh !… Où vas-tu ?
    — Nous nous arrêterons à la première bove.
    Avait-elle tout prémédité ?
    — Si Mathilde ou l’une de ses filles nous y trouvent !… Tu sais, cousine, qu’on y accède aussi par les cuisines.
    — As-tu peur ?
    Elle s’était arrêtée. Il détesta son sourire.
    — Peur de quoi, cousine ?… Vraiment ce que tu dis n’a aucun sens.
    Elle reprit sa descente. Il faisait encore clair. Sous la dossière de fer, son court jupon de mailles titillait doucement ses fesses.
     
    *
     
    Ils venaient d’allumer quatre torches à la lanterne entretenue matin et soir près de la porte ouvrant sur l’escalier des cuisines. Ils les avaient placées dans leurs supports, éloignant ainsi l’obscurité jusqu’aux angles de cette caverne où Mathilde entassait ses réserves.
    — Nous serons quiets, beau cousin… Ailleurs, on nous aurait vus, et je n’y tiens pas…
    Tancrède se contredisait. Il l’aida à repousser des chaudrons, des amphores branlant dans leur trépied, des barils, des vases, des marmites et s’aperçut bientôt qu’il suait et suffoquait.
    « C’est à cause de tout ce fer. Pour ce matin, c’en est trop : sans être

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