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Le Gué du diable

Le Gué du diable

Titel: Le Gué du diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Paillet
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ceux des Nibelung, avaient un instant tourné la tête vers cette force imposante composée de colosses formidablement armés. Tous, sauf Isembard qui avait continué de diriger ses regards vers son fils et ceux que ce dernier avait rameutés. Puis il lui cria :
    — Sais-tu ce que signifie Vengeance ? Les pères de nos pères l’ont, hélas ! connu : la hache de guerre, le glaive, même le coutelas sournois et la flèche empoisonnée réglaient tout différend ; au meurtre ne répondait que le meurtre, à l’embuscade l’embuscade, au massacre le massacre… Sûreté n’était plus nulle part. Les familles s’exterminaient l’une l’autre et, dans les familles, les parents entre eux ; l’époux même tuait l’épouse et le fils le père ! Ainsi, de proche en proche, s’étendaient Dévastation et Mort. Notre peuple, auparavant si redouté, était la risée de l’univers.
    La voix d’Isembard portait au loin, et tous, à présent, étaient attentifs à ses paroles :
    — Les rois ont ramené Justice et Ordre, que Charles le Grand a raffermis. Les familles, les pays, les royaumes et l’empire, rétablis en leur puissance, sont, à nouveau, craints et respectés.
    Le chef des Gérold lança alors à son fils :
    — Est-ce à cela que tu veux porter atteinte, grave atteinte, par désobéissance, emportement et déraison ?… Le meurtre de Wadalde sera puni, son wergeld acquitté. La présence des missi en donne garantie absolue ! Alors, que cesse ta rébellion !
    Isembard éleva encore la voix pour ordonner :
    — Que les glaives soient remis aux fourreaux, les flèches aux carquois, que les lances soient relevées !
    Le comte Childebrand, accompagné seulement par Hermant qui portait l’enseigne de la mission impériale, se porta alors à la hauteur du seigneur des Gérold et demeura à ses côtés, guerrier impressionnant par sa stature et son air dominateur. La garde s’était disposée en triangle, coin hérissé d’acier meurtrier. L’un après l’autre, lentement, comme à regret, les hommes d’armes qui avaient suivi Badfred obéirent aux ordres qui leur avaient été lancés. Ils firent opérer un quart de tour à leurs montures et se formèrent en colonne. Le fils d’Isembard s’apprêtait à en prendre la tête quand son père lui lança :
    — Non, pas toi !
    Puis il se tourna vers Childebrand.
    — Il ne s’est rien passé d’autre ici qu’une querelle entre un père et un fils, lui dit-il. Sache, cependant, que je ne déplore pas moins que lui la mort de mon vassal et compagnon d’armes Wadalde, que la colère bouillonne en mon cœur et que la paix ne reviendra en moi que lorsque justice aura été faite.
    Puis Isembard salua le missus dominicus avant de rejoindre au galop de son cheval la colonne des hommes d’armes dont il prit lui-même le commandement. Lentement, elle s’éloigna vers le nord dans la direction de la résidence des Gérold.
    Alors Frébald, qui se tenait devant les siens, s’approcha de Childebrand, suivi de Timothée. Après lui avoir présenté des salutations, il lui adressa ces paroles :
    — En mon nom et au nom des Nibelung, je te remercie, comte Childebrand, missus dominicus de l’empereur Charles, d’être intervenu de manière si opportune, sans doute inspiré par la Providence, car, attaqué par surprise, je n’avais pu faire prévenir ta mission.
    Il attendit une mise au point qui ne vint pas et reprit :
    — C’est d’ailleurs ton assistant grec…
    — Il s’appelle Timothée.
    — … ton assistant Timothée qui, arrivant ici juste avant les agresseurs, nous a avertis. Dès lors, nous avons été en mesure de faire face et nous aurions fait subir aux attaquants une défaite cuisante s’ils avaient tenté un assaut. Mais un affrontement aurait été meurtrier. Cette initiative criminelle des Gérold aurait coûté à l’ost quelques vaillants guerriers. Aussi suis-je heureux que, grâce à ton action et à notre résolution, les présomptueux assaillants, perdant leur superbe, aient tourné les talons !
    Childebrand, que cette présentation des événements avait irrité, rectifia sèchement :
    — Et moi, je suis heureux qu’Isembard ait fait entendre aux siens la voix de la raison.
    — Bien sûr ! acquiesça Frébald avec réticence. Dois-je demander aux miens de venir te présenter leurs respects ?
    — Non ! Mon devoir est de rester entre les uns et les autres, ni avec celui-ci, ni avec celui-là.

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