Le Gué du diable
cheval, de les conduire à destination.
— As-tu aussi un bon coutelas ? lui demanda frère Antoine.
— Oui-da !
— Bah ! prends-le donc ! conseilla le moine en lui tendant sa gourde. Bois un bon coup et rends-moi mon nectar !
— Ton quoi ?
— Ma gourde !
L’homme revint, quelques instants plus tard, juché sur un solide cheval. Il portait fièrement au côté un imposant couteau dans sa gaine.
— Allons ! dit Timothée. Montre-nous les passages et n’oublie pas que nous sommes pressés ! Sais-tu où se trouve exactement la cressonnière de Diges ?
— Pour sûr ! En contrebas du bourg.
— C’est là que nous allons.
Après être passés au large de la résidence des Nibelung dont ils aperçurent les bâtiments au loin, les deux missi, derrière leur guide, parcoururent un chemin complexe avant d’arriver à Diges.
Tout de suite, Timothée comme le frère Antoine ressentirent une impression étrange. Ils s’arrêtèrent et regardèrent autour d’eux.
— Mais, bon sang, il n’y a personne ici ! C’est un désert ! s’écria le moine.
— Je n’aime pas cela, ami, renchérit le Grec qui dégaina et invita le Pansu à en faire autant.
Ils avancèrent prudemment en observant les alentours. Dans quelques demeures ils aperçurent enfin des femmes âgées ainsi que de jeunes enfants. Au bruit que faisaient les sabots de leurs chevaux martelant les pierres du chemin, les unes et les autres avaient gagné le pas des portes pour regarder avec crainte, immobiles et muets, ces cavaliers qui passaient glaive en main.
Lorsqu’ils furent arrivés hors du bourg, le maréchal-ferrant arrêta son cheval. Il ne semblait pas rassuré. De la main il indiqua un chemin qui descendait vers le sud.
— Nous voici quasiment rendus, dit-il. Prenez par là ! A cinq cents pas, vous trouverez une sente, à gauche. Elle mène droit à la cressonnière. Moi, je m’en retourne. Ma forge m’attend. J’ai déjà perdu assez de temps comme ça !
Quelques pièces complémentaires récompensèrent son zèle. L’homme tourna bride, visiblement soulagé, et s’éloigna rapidement.
Quand les deux assistants des missi arrivèrent à la croisée des chemins qu’avait indiquée leur guide, ils aperçurent sur leur gauche un rassemblement de villageois qui semblaient paisibles. Ils remirent leurs armes au fourreau et s’avancèrent lentement. Tout à coup, comme d’un seul mouvement, toutes les têtes se tournèrent vers eux. Il se fit un grand silence. Quand ils furent parvenus près de cette foule, les hommes et les femmes, aux visages graves et apeurés, s’écartèrent pour former une allée qui menait à un ruisseau s’élargissant en cressonnière. Les deux cavaliers s’y engagèrent.
A l’aube, au moment où se formaient sur la place du bourg les équipes qui allaient se rendre aux champs, ceux qui les composaient avaient vu avec étonnement venir, à pied, par la route d’Escamps l’intendant Malier. Il s’était arrêté près de la fontaine pour souffler un peu, puis il se rendit chez Julien, homme libre possédant plusieurs manses et qui lui servait d’adjoint pour Diges et ses environs. Malier, visiblement soucieux, lui indiqua qu’il avait un message important et urgent à faire porter à Auxerre, discrètement.
— Je sais, dit-il, que ton Lucien, malgré son jeune âge, est un excellent cavalier et qu’il est aussi très dégourdi. Tu as appris sans nul doute que deux missi dominici sont en ville. Ils sont servis par trois assistants, un moine de la plus volumineuse espèce, le frère Antoine, un chauve nommé Doremus et un Grec, Timothée, reconnaissable à son collier de barbe et qui prend souvent collation chez maître Gérard. Je veux que Lucien se rende à Auxerre sur-le-champ, qu’il fasse en sorte de rencontrer au plus tôt l’un de ces trois-là pour lui remettre ceci.
Il tendit à Malier une boîte en bois renfermant un écrit.
— Personne d’autre qu’un des assistants des missi ne doit mettre la main là-dessus. Que ton Lucien fasse aussi vite qu’il le peut, qu’il ne se laisse arrêter par rien et surtout par personne ! Je compte sur lui. Je compte sur toi. Tu en auras bonne récompense.
— Je ferai cela pour ton service et celui de notre seigneur Frébald.
— Soit ! Je ne l’oublierai pas.
Lucien, fier qu’une telle mission lui eût été confiée, partit au grand galop pour Auxerre, ayant placé la précieuse boîte dans un
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