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Le Gué du diable

Le Gué du diable

Titel: Le Gué du diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Paillet
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savait d’ailleurs que le Saxon, quand il était plongé dans ses réflexions, détestait être importuné et sanctionnait par de sèches rebuffades toute intervention intempestive… Brusquement, Erwin se tourna vers son assistant :
    — Rappelle-moi le nom de cet homme, de cet informateur que ce maître Gérard t’a chaudement recommandé ?
    — Rimbert, seigneur, Rimbert de Jussy pour le distinguer d’un autre qui habite Joigny.
    — Comment est-il ?
    — Très âgé. Il m’a dit qu’il était né trois ans avant la mort de Charles Martel – gloire à lui ! –, cela lui fait donc soixante-six ans. Très âgé, mais l’esprit fort alerte… et têtu comme tous les diables !
    Erwin sourit.
    — Serais-tu vexé par hasard ?
    — Il y a de quoi, seigneur. J’ai essayé de toutes les façons. Rien à faire. C’est à un missionnaire du souverain qu’il réserve ses confidences et à lui seul. Ordinairement, je parviens quand même à délier les langues. Mais, ici, chez ces sauvages, mon teint et mon collier de barbe me valent mille déboires.
    — Sauf, m’a-t-on dit, auprès d’une certaine Agathe qui sert maître Gérard.
    — On m’aura encore calomnié ! Ce qui est vrai, c’est qu’il m’arrive de parler avec elle quand je déjeune à la taverne. Elle connaît quelques mots de grec, car ses grands-parents venaient de Cappadoce. Bavarder avec elle me rappelle mon pays.
    — Je vois, je vois… ponctua Erwin d’un air entendu. Mais revenons à ce… ?
    — Rimbert, maître.
    — … à ce Rimbert. Donc, obstiné. Un homme aussi qui a toute sa tête. Mais, dirais-tu, pleine de souvenirs ou bien remplie de fables ?
    — Comment le saurais-je, seigneur, puisqu’il n’a rien voulu me confier ? En général, cependant, les diseurs de sornettes ne se font pas prier pour parler.
    — J’ai aussi connu des taciturnes qui n’ouvraient la bouche que pour des calembredaines, murmura le Saxon.
    La demeure de Rimbert se composait de plusieurs bâtiments situés un peu à l’écart du hameau. Le maître de maison attendait le missus dominicus entouré de toute sa famille pour laquelle la venue d’un tel hôte était un honneur sans précédent. Accompagné de sa femme et de son fils aîné, il s’avança au-devant de l’abbé saxon dès que celui-ci eut mis pied à terre. Puis, sa descendance formant une haie d’honneur, il conduisit l’abbé que suivait son assistant jusqu’à son logis, au centre de la résidence. Là, il tint à offrir une collation de bienvenue faite de beignets, de vin aux aromates ainsi que d’hydromel, sur recommandation du Grec sans doute. Puis il pria le missionnaire du souverain de l’accompagner jusqu’à une pièce où il pourrait, en toute discrétion, répondre aux questions qu’il plairait au missus de lui poser.
    Rimbert était un vieillard à l’abondante chevelure blanche et aux traits burinés ; courbé par l’âge, sans doute perclus de rhumatismes, il marchait avec difficulté en s’appuyant de la main gauche sur une canne et ne pouvait réprimer de temps à autre une grimace de souffrance. Quand le missus dominicus eut pris place à côté d’une table portant deux gobelets et une cruche de cervoise, il accepta avec soulagement l’offre que lui fit Erwin de s’asseoir à son tour. Il se redressa avec effort autant qu’il le put avant de dire à son hôte :
    — Me voici, seigneur, à tes ordres. Permets-moi d’abord de te présenter mes excuses pour n’avoir pas accepté de témoigner devant un autre que toi. Je te prie de n’y voir aucune vanité. En vérité, ce que j’aurais à révéler éventuellement est de telle nature que seul quelqu’un de ton rang peut en être instruit.
    — J’entends cela, dit Erwin. Mais je dois aussi souligner que Timothée, notre assistant, a l’ouïe fine, l’esprit alerte et la bouche hermétiquement close pour d’autres que les missi dominici, ses maîtres… Cependant j’ai compris tes scrupules. Quant aux questions que j’aurais à te poser, ne va pas croire que j’en aie une idée précise ! En pareille circonstance, savoir quoi demander, n’est-ce pas avoir déjà l’essentiel des réponses ? Je ne pars donc que d’une constatation : les meurtres qui ont endeuillé ce comté, les turbulences qui l’ont agité, les craintes que ces événements ont suscitées. Or rien de ce que j’ai appris ne donne une explication satisfaisante d’un tel désordre.
    — Tu as

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