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Le Gué du diable

Le Gué du diable

Titel: Le Gué du diable Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Paillet
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d’Auxerre, cria-t-il, je vous ordonne de déposer les armes et de vous disperser à l’instant. Des hommes à l’esprit diabolique et à la bouche menteuse vous ont empli les oreilles et la tête de paroles trompeuses, de fables abominables. Ils vous ont donné à croire que les auteurs de crimes, en effet exécrables, ne seraient pas punis, que les plus nobles familles conspiraient contre l’ordre, que le pays serait bientôt à feu et à sang, que ceux qui représentent ici même Charles le Juste ne serviraient pas la justice mais protégeraient des assassins. Mensonges effroyables ! On a poussé la scélératesse jusqu’à affirmer que je soutenais la sédition. Mensonge plus détestable encore ! Je dis, moi, que personne ne doit être condamné avant d’avoir été équitablement jugé. Certains vous ont entraînés au pire, car c’est contre l’empereur lui-même, représenté par ses missi dominici, contre moi-même qui gouverne ce comté qu’ils ont conspiré, qu’ils se sont dressés, qu’ils ont pris les armes.
    Ermenold parcourut la foule du regard.
    — J’affirme que les coupables de crimes odieux seront démasqués, jugés et punis, que l’ordre, ici, n’a jamais été en péril, ni la justice, de quoi dépendent la sécurité et la prospérité de tous. Posez vos armes, regagnez la ville ou vos manses, rentrez dans vos logis ! C’est là mon premier et dernier avertissement. Faute que vous obéissiez, les cavaliers de la garde et de la milice que vous apercevez là-bas assureront l’exécution de mes ordres ! Obéissez !
    Alors se détacha de la masse des séditieux un groupe d’une demi-douzaine d’hommes conduits par un colosse qui était armé d’une faux placée dans le prolongement d’un grand manche. Deux d’entre eux s’étaient munis de piques, deux autres portaient des glaives ; le dernier, un boiteux difforme, paraissait sans arme. Ils s’approchèrent d’Ermenold, tandis que le frère Antoine et Doremus se portaient à la hauteur de celui-ci. Quand le petit groupe d’émeutiers fut parvenu à une soixantaine de pas du comte d’Auxerre, l’homme contrefait s’adressa à lui d’une voix stridente :
    — La honte ne t’a donc pas étouffé, comte Ermenold ? lui lança-t-il. Qu’ai-je entendu, et de ta bouche : que ceux qui se sont assemblés là, animés par la soif de justice et par le désir de vengeance, avaient été trompés par des factieux, pervers, menteurs, ne souhaitant que sang et désordres, ennemis jurés de l’empereur, qu’ils avaient été jetés ainsi sur un chemin qui ne menait qu’à leur perte ? Mais qui a forgé ces accusations que tu condamnes aujourd’hui comme infâmes ? Qui a préparé le venin ? Qui a demandé qu’il soit répandu par toute la ville pour ameuter le peuple ? Qui a exigé de moi, Bigaud, que je me charge de cette besogne ? Qui, sinon toi, Ermenold ! Et maintenant, parce que les missi dominici, sans doute, ont percé à jour ton dessein et tes manœuvres, voici que tu cherches à rejeter sur nous, qui n’avons été que tes exécutants, toute responsabilité ? Et tu t’apprêtes même à payer ta réhabilitation avec le sang, coulant à flots, de ceux qui sont venus ici, et qui n’y sont venus que parce qu’ils sont entrés, bien malgré eux, dans ton jeu ? Honte sur toi !
    — Pour un forcené, il s’exprime bien, glissa le frère Antoine à Doremus.
    — J’ai appris, répondit celui-ci, que ce Bigaud, ex-âme damnée de notre Ermenold, avait été diacre.
    — En tout cas, son discours a été instructif.
    Le comte d’Auxerre, cependant, avait fait avancer sa monture de quelques pas en direction de celui qui l’avait interpellé. Les deux assistants des missi encadrèrent Ermenold, Doremus restant en selle, frère Antoine mettant pied à terre à côté de sa jument.
    — Tais-toi, impudent avorton !… cria le comte à Bigaud. Tais-toi ! Sinon… Quant à vous, vils chiens, abominable racaille, déguerpissez, disparaissez de ma vue ! Craignez ma justice !
    Ces mots mirent le colosse en rage. Fou de colère, il s’élança, cherchant à éventrer avec sa faux le cheval que montait le comte, tandis que les deux piquiers chargeaient à ses côtés, leurs armes visant Ermenold lui-même. Tout à coup, celui qui menait cet assaut tournoya et s’abattit sur le sol comme une masse à cinq pas seulement de sa cible. L’un des piquiers culbuta, comme foudroyé, fichant son arme en

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