Le Gué du diable
soient punis par la question…
— … et qui surtout prennent plaisir aux supplices… plaça Doremus, mezza-voce.
— … ont-ils été déçus d’apprendre que Robert serait déféré devant le tribunal impérial à Aix.
Childebrand jeta sur le comte d’Auxerre un regard courroucé.
— Mais ce n’est pas du tout mon avis, s’empressa d’ajouter Ermenold. Je pense au contraire…
— Ce qu’il faut penser ? martela Erwin en lui coupant la parole. Rien d’autre que ceci : la gravité des actes perpétrés par Robert, la qualification de ses crimes, et aussi certains faits étranges, révélant peut-être l’influence de forces infernales, rendaient nécessaire qu’il fût jugé à Aix où, notamment, peuvent être consultés l’archichapelain et les plus hautes autorités cléricales ! Que cela soit bien compris, reconnu pour vérité et répété !
Après que plusieurs santés eurent été portées à l’empereur, à sa famille, à la gloire et prospérité des royaumes, il revint à Childebrand de prononcer l’allocution qui marquait la fin du banquet. Il en possédait plusieurs modèles appropriés aux circonstances de ses missions. Il choisit cette fois-ci une apologie de la justice, de l’ordre et de la fidélité.
Le lendemain matin, Erwin et Childebrand se rendirent au monastère Saint-Eusèbe où Robert était détenu. Ils tentèrent d’échanger quelques mots avec lui. Puis revenus à leur résidence, ils reçurent Isembard à qui ils donnèrent connaissance des décisions qui avaient été prises concernant le wergeld de Wadalde et celui de Malier à la charge des Gérold, compte tenu que leur seigneur avait reconnu la responsabilité de sa famille dans les forfaits de Robert.
Les missi donnèrent ensuite audience, ensemble, à Isembard et à Frébald. Ils leur firent jurer sur les Saintes Écritures de cesser toute querelle et, dans l’immédiat, de proscrire tout appel à la vengeance au nom de ceux qui avaient été tués et blessés à la « bataille de Dilo ». Ils précisèrent que les différends territoriaux, minimes en définitive, seraient tranchés avec équité, et que, si toute dispute cessait à ce sujet, garantie leur serait donnée quant à l’intégrité de leurs domaines. Tout manquement à ce serment de concorde entraînerait des sanctions pouvant aller jusqu’à abrogation par l’empereur de leurs vassalités et, par conséquent, privation de leurs bénéfices.
Avec le comte d’Auxerre, l’entrevue fut des plus aigres. Childebrand et Erwin l’avaient convoqué pour lui rendre les pouvoirs qu’ils avaient exercés, le temps d’une enquête et d’un jugement. Au lieu de leur en savoir gré, Ermenold reprit ses propos fielleux sur la manière dont les investigations avaient été conduites et sur l’« indulgence du tribunal » :
— Quoi, s’écria-t-il, l’émeute de Saint-Amâtre n’a même pas été évoquée, les chefs des rebelles n’ont même pas été inquiétés ! Mais ils auraient dû être soumis à la question, jugés et condamnés aux châtiments les plus rudes, afin qu’il fût manifeste que tous ceux qui s’élèvent contre l’autorité du souverain, représentée en ce comté par moi-même, encourent la pire des morts ! Au lieu de cela…
— Après ce qui s’est passé, ce soulèvement que tu avais toi-même suscité ? coupa Childebrand qui s’étranglait d’indignation. Ah, tu ne manques pas d’aplomb !… Aurais-tu souhaité que le peuple d’Auxerre assistât à de longues délibérations sur un exemple détestable, celui d’une rébellion qui avait pour cible, en s’en prenant à nous, missi, le pouvoir suprême ? De tels désordres, si scandaleux, ne relèvent pas d’un tribunal, mais de la justice immédiate du glaive. Ils doivent être contenus et réprimés comme nous l’avons accompli. Seule la nécessité de faire un exemple peut dicter un procès public suivi d’une mise à mort dans les supplices.
— Qu’attendez-vous alors pour en finir avec ce Bigaud, chef des meneurs ? plaça le comte d’Auxerre.
— Voici donc le fin mot de l’affaire, intervint Erwin. Bigaud en sait trop sur toi, sur tes manigances, sur tes entreprises sournoises. Mais… nous prends-tu pour des sots ? Imagines-tu que nous puissions nous priver d’un tel témoin ?… Sais-tu que nous avons beaucoup hésité avant d’estimer préférable, pour la tranquillité de ce pays, de ne pas t’emmener avec nous
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