Le guérisseur et la mort
difficulté.
— Raquel ? Où est Daniel ?
— Chut, papa, dit-elle en entrouvrant le portail. Il est dans votre cabinet, endormi.
— Sur ma couche ?
— Où pourrait-il dormir autrement ? Oh, papa, ce voyage l’a épuisé au point qu’il ne tenait même plus sa tête droite. Je lui ai suggéré de s’allonger sur votre couche et, comme il avait froid, je l’ai recouvert d’une de vos capes. Il s’est endormi en un instant, mais je vais aller le réveiller.
— Ne le dérange pas, ma chérie, je dormirai dans la chambre à coucher, avec ta mère. Ah ! Raquel, c’est mon tour de te suggérer quelque chose. Viens t’asseoir avec moi près de la fontaine.
Raquel écouta avec attention la douce voix de son père et hocha la tête à plusieurs reprises.
— Certainement, papa. Ce sera peut-être difficile, mais je m’occuperai de tout. Il est heureux que maman se soit endormie avec le bébé.
— Ne sous-estime pas l’œil perçant et l’ouïe fine de ta mère, ma chérie, dit Isaac en lui tapotant le genou.
Le lendemain matin, les serviteurs avaient à peine eu le temps de se frotter les yeux qu’Isaac se présentait déjà à la porte de la maison de Mordecai. Le portier ne comprit pas qu’une personne aussi honorable, souvent reçue dans cette demeure, pût arriver aussi tôt et demander qu’on le conduisît sur-le-champ à la chambre du maître. Il le regarda longuement avant de conclure qu’il ne pouvait pas lui interdire le passage. Il le fit donc patienter dans la pièce où attendaient d’habitude les clients et monta alerter son maître.
— Fais-le donc monter, lui dit Mordecai qu’il avait arraché à un profond sommeil. Il nous faut parler de bien des choses. Et que l’on apporte des rafraîchissements.
— Bien, maître Mordecai, dit le portier étonné de constater que son maître n’avait nulle intention de renvoyer le médecin.
— Entrez, Isaac. Vu la réaction de mon portier, je crains qu’il ne soit encore très tôt.
— Je le crains aussi, mais je dois vous parler avant que débutent les affaires du jour.
— Les cloches ont-elles sonné la première heure ?
— Oui, Mordecai. Je ne vous aurais pas réveillé plus tôt sauf si je n’avais pas eu le choix. Mais la raison de ma venue…
— Oui, pourquoi êtes-vous ici ? Est-il arrivé quelque chose ?
— Non, hormis le fait qu’un courrier est arrivé avec un paquet de lettres à votre intention et que je souhaitais vous les apporter.
— C’est pour ça que vous m’avez réveillé ? Elles concernent sans aucun doute mes affaires, Isaac. C’est très aimable à vous, mais vous n’aviez pas besoin de faire un tel effort.
— Je n’en suis pas certain. Elles viennent de votre ami Maimó.
— Maimó ? Cela signifie-t-il que Daniel est revenu de mission ? Dans ce cas je vais les lire immédiatement, ajouta-t-il sans même attendre de réponse. Cela ne me prendra pas longtemps pour savoir si elles répondent à mes questions.
— Je ferai preuve de toute la patience dont je suis capable, dit Isaac.
Mordecai brisa le sceau apposé sur le paquet et découvrit cinq missives. Il examina chacune d’elles, en mit trois de côté dont il ouvrit la première.
— Celle-ci est de la main de Maimó, dit-il en en parcourant rapidement le contenu. Elle évoque des problèmes autres que ceux qui nous intéressent aujourd’hui. La seconde lettre sera peut-être plus instructive.
Il était occupé à l’ouvrir quand la gouvernante entra avec l’un des serviteurs, chargé de nourriture et de boissons en abondance. Mordecai garda le silence tandis que l’on déposait sur la table une corbeille de fruits, du pain et du fromage, ainsi qu’un plat de riz et de lentilles aux herbes aromatiques. Quand son hôte et lui-même eurent été servis, il congédia les serviteurs et attendit que la porte fût bien refermée.
— Je ne désire pas que le contenu de cette lettre devienne un sujet de conversation, dit-il. Elle émane de Perla, la veuve d’Ezra. Elle date de jeudi, la veille du retour de Daniel. Maintenant que nous sommes seuls, je vais vous la lire.
Mon très cher Mordecai,
Cette lettre est écrite à ma demande par Arnau G., écrivain public de la ville de Majorque, et elle reprend fidèlement chaque parole que j’ai prononcée.
J’ai beaucoup réfléchi ces derniers jours depuis que votre ami, Daniel ben Mossé, est venu me poser des questions en votre nom. Sans
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