Le guérisseur et la mort
Barcelone.
— C’est bien mince comme recommandation, non ?
— C’est vrai, mais Votre Excellence s’en souvient certainement, il est souvent difficile de trouver des jeunes gens intelligents et travailleurs quand on désire se faire assister. On est heureux d’engager le premier qui se prétend compétent et a l’air honnête.
— J’en suis parfaitement conscient, sergent.
— J’ai parlé à la cuisinière de la finca voisine et je lui ai demandé, comme à tout le monde ce soir-là, s’il y avait de nouvelles têtes dans les parages. Elle m’a évoqué un garçon qui avait étudié chez les frères. Il était agréable, parlait beaucoup et disait venir de Valence.
— Et c’est pour ça que vous me dérangez ? demanda l’évêque.
— Non, mais elle a également dit, si je me souviens bien de ses paroles, « il est plutôt mignon, celui-là, avec son sourire d’ange, ses boucles dorées et sa barbiche roux foncé ». Là-dessus, elle a ajouté : « Il est aussi habile de ses mains. Il a réparé le collier de ma sœur qui s’était cassé. » Ça m’a fait penser à quelqu’un, il a un visage d’ange mais est capable de voler des maravédis dans une bourse et de les remplacer par des pièces en cuivre sans que personne le remarque à l’exception d’un aubergiste aussi perspicace que suspicieux.
— Le jeune homme angélique nommé Rafael ou quelque chose comme ça, dit Berenguer dont le visage s’éclaira, brièvement il est vrai, d’un sourire. Je me demande comment s’appelle celui-ci.
— Oui, et il est sorti de nulle part avec une lettre de la part d’une vague relation de maître Jaume. J’ai pris la liberté de lui parler avant de venir vous déranger, Votre Excellence : si le notaire avait pu me rassurer sur le passé de ce jeune homme, mes soupçons seraient aussitôt tombés.
— Et il ne l’a pas pu ?
— Non. Le jeune homme est arrivé et il lui a présenté sa lettre en lui demandant s’il avait du travail à lui proposer. Le clerc du notaire lui a alors rappelé une chose : sa sœur lui avait expliqué que l’intendant était débordé et qu’il cherchait un commis sur qui se reposer.
— La finca doit être prospère, fit remarquer l’évêque. Il faudra que j’en parle à Bernat. Chaque fois que nous demandons de l’argent pour les pauvres ou les malades du diocèse, la maîtresse pousse des hauts cris et se prétend réduite à la misère.
— Quand j’ai demandé si cette lettre pouvait être un faux, maître Jaume m’a répondu qu’il n’avait pas écrit à cette relation d’affaires depuis un certain temps, mais qu’il allait le faire sans tarder. Le diocèse pourrait-il l’indemniser pour avoir envoyé une lettre par messager spécial ?
— Nous recourrons aux fonds spéciaux du diocèse, dit Berenguer. Le courrier de Barcelone devrait arriver demain.
— Je le tiendrai au courant, Votre Excellence. Il semble ensuite que le clerc se soit rendu à la finca en compagnie du jeune homme et qu’il l’ait présenté à la maîtresse des lieux.
— Et comment s’appelle-t-il ?
— Raimon, Votre Excellence.
— Raimon, par tous les saints du Ciel ! s’exclama Berenguer. Je veux parler à ce jeune homme. Prenez tous les hommes nécessaires et allez le chercher !
Mais quand le sergent et les six gardes arrivèrent à la finca, l’oiseau s’était envolé.
— J’ignore où il peut être, dit la maîtresse paniquée. Il était là pour souper, je le sais. J’espère qu’il ne lui est rien arrivé. Ce n’est pas un de ces jeunes fous qui ne pensent qu’à se quereller avec le premier venu.
— Où dort-il ? demanda Domingo.
— Il a une chambre au-dessus du cabinet de l’intendant, répondit-elle en désignant une aile de la maison donnant sur l’extérieur de la propriété. C’est très pratique pour lui.
Ils allèrent inspecter les lieux et découvrirent que c’était en effet très pratique. Un petit escalier menait de la chambre à un portail que l’on pouvait franchir discrètement à toute heure. Il était fermé, mais ni barré ni verrouillé, et la chambre elle-même était vide.
Une heure de recherche dans les dépendances, lanterne à la main, ne servit à rien, comme s’il n’était jamais venu dans cette maison.
Isaac fit tinter discrètement la cloche du portail. Un instant plus tard, il entendit des pas rapides et légers puis la barre qu’on ôtait avec
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