Le guérisseur et la mort
qu’un champignon vénéneux avait été ajouté par accident à l’omelette qu’ils avaient tous deux mangée, mais il n’en était pas certain. Il finit par parler d’inflammation infectieuse des entrailles et nous en restâmes là. Aujourd’hui je ne sais toujours pas.
Maintenant que Rubèn est mort, je n’ai pas le moyen de savoir ce que sont devenus ses amis. Depuis j’ai eu une conversation avec Sara, qui s’inquiète de voir son fils emprunter un chemin dangereux. Mais elle a également prononcé certaines paroles qui me laissent croire qu’elle est toujours en contact avec lui.
Je vous supplie, si vous n’avez pas besoin de savoir tout cela, de l’oublier à tout jamais. Cela me plongerait dans la détresse que de trahir vainement ses secrets et les miens.
— Il est mort, dit Mordecai. Tous deux mentaient. Ni l’un ni l’autre ne pouvait décemment être l’enfant de Faneta.
— À moins que maîtresse Perla ne cherche à protéger ce garçon, dit Isaac, en faisant croire à sa mort.
— Je ne puis l’imaginer. C’est une femme trop droite, trop honnête pour se comporter ainsi.
Il reposa la lettre sur la table et se tourna vers la fenêtre.
— Le reste de cette missive contient des choses qui me sont toutes personnelles, ajouta-t-il enfin d’une voix mal assurée. Mais il y a aussi une sorte d’étrange post-scriptum.
— Et que dit-il ?
— Il est écrit d’une main toute différente – très correctement même s’il ne s’agit pas d’un scribe. Permettez-moi de vous le lire.
J’ai demandé à mon ami, l’homme qui s’est chargé de l’enseignement de Rubèn, d’achever cette lettre pour moi. Quand l’écrivain public eut terminé son travail, il me déclara, avec un manque de discrétion inadmissible dans sa profession, qu’il avait, très peu de temps auparavant, travaillé pour quelqu’un que je devais connaître. Cette lettre était également destinée à Gérone et, s’il l’avait su, elles seraient parties en même temps, ce qui aurait fait faire des économies. Je crains qu’il ne s’agisse de Sara et que le destinataire ne soit Josep. Prenez garde à lui, Mordecai, car je le crois dangereux.
— Vous pensez que le fils de Sara est le premier jeune homme qui se présenta à vous ? demanda Isaac. Il aurait pu tenir de Rubèn et de sa propre mère les détails concernant votre famille.
— C’est impossible. Il ne pouvait s’agir du fils de la blanchisseuse de Perla : cette femme n’est rien de plus qu’une prostituée de bas étage, même si Perla la prend toujours en pitié. Il m’avait l’air si éduqué, si bien élevé. Mais une chose est certaine : s’il est de fait le fils de Sara, il n’a rien à voir avec ces potions empoisonnées.
— Comment cela ?
— Son corps a été retrouvé une semaine après sa disparition de Sant Feliu de Guíxols.
— Mais vous m’avez dit douter que ce fût son corps. Bien des hommes périssent dans la tempête et, en une semaine, la mer peut cruellement détériorer la chair d’un homme.
— Isaac, Isaac, vous pouvez être cruel quand vous opposez votre esprit lucide au mien. Je m’obstine à dire que nous n’en savons pas assez pour juger.
— C’est bien possible.
— Pouvez-vous m’envoyer le jeune Daniel dès qu’il aura déjeuné ? J’aimerais apprendre de sa bouche ce qu’il a découvert et le remercier pour ses efforts. Au jour de ses noces, il ne regrettera pas de m’avoir rendu un tel service. C’est un splendide jeune homme et je vous envie d’avoir un futur gendre comme celui-ci, mais n’en dites rien à mes filles !
— Hélas, j’en serais enchanté, mais Daniel n’est pas encore de retour. Il a certainement confié le courrier à un messager rapide et choisi de prendre son temps pour revenir.
— J’ai du mal à croire que Daniel ait pu agir de la sorte, dit Mordecai. Si tel est le cas, je ne suis pas sûr de vous envier votre gendre. Maîtresse Raquel doit se sentir cruellement négligée si les joies du voyage comptent plus pour lui que ses charmants sourires.
— Elle sait au moins qu’il a regagné la terre ferme et qu’il sera bientôt là. Mais veuillez me pardonner, maître Mordecai, je dois retourner chez moi.
— Je crains que la lettre de Perla ne m’ait été plus utile à moi qu’à vous. Je regrette qu’elle ne renferme rien qui puisse aider le jeune Lucà.
— Nous verrons, mais puis-je vous demander une
Weitere Kostenlose Bücher