Le guérisseur et la mort
portail, assez bruyants pour réveiller un mort quand on entre de façon normale.
— C’est pour ça que je ne passe pas par là, seigneur, fit l’enfant, qui feignit d’être offensé. Je ne veux pas déranger toute la maison, mais désormais, je ferai ainsi, le plus silencieusement possible.
— Pas tout à fait, Yusuf. Il te faudra faire assez de bruit pour attirer l’attention de Raquel.
Isaac jeta sur ses épaules une cape légère et suivit le garçon dans la cour.
— Papa ? dit doucement Raquel.
— Es-tu encore là, ma chérie ? Je dois aller chez Romeu. Daniel te tient toujours compagnie ?
— Je suis là, maître Isaac, dit Daniel.
— Dans ce cas j’ai une faveur à vous demander. Pourriez-vous rester avec Raquel jusqu’à mon retour ? Si vous avez froid, vous pouvez emprunter le châle que je range dans mon cabinet. Vous mettrez la barre du portail après notre départ. Ainsi, nous ne dérangerons personne en rentrant.
L’enfant était allongé, yeux grands ouverts, une tranche de pain à la main. À côté de lui était posé un bol où subsistaient encore quelques traces de soupe.
— Messire le médecin, dit-il, je me rappelle tout plein de choses.
— Excellent, dit Isaac, tu m’en vois ravi. Comment va ta tête ?
— Des fois elle me fait encore mal mais des fois je ne sens plus rien du tout.
— Pourquoi ne me montres-tu pas l’étendue de tes souvenirs en me parlant de toi ? Je m’intéresse à la façon dont tu es arrivé à Gérone. Tu es de Figueres, n’est-ce pas ?
— Oh non, messire, j’y suis allé uniquement parce qu’on m’avait dit que mon oncle, le frère de mon père, y habitait. Il y était parti après la Peste noire. Personne ne savait rien de lui, sauf un homme qui m’a dit qu’il n’y avait séjourné que très brièvement et qu’il était reparti pour Gérone. C’est pour ça que je suis là.
— Dans ce cas, d’où es-tu originaire ?
— De Sant Feliu de Guíxols. On vivait au bord de la mer. Il y a eu une attaque des pirates et ma mère est morte, je crois bien, mais je me suis caché et personne ne m’a vu. Il y a des gens qui partaient à Figueres et ils m’ont emmené avec eux. En tout cas, je me rappelle bien sa voix.
— Sa voix ? s’étonna Isaac.
— Oui, il parlait comme ma mère quand elle avait trop bu et qu’elle se mettait en colère après moi. Les mots qu’il disait, c’était… comme ceux de ma mère. Ça m’a d’ailleurs rendu triste…
Il allait à nouveau sombrer dans le sommeil.
— En quoi sa voix te rappelait-elle celle de ta mère ?
— Ils venaient du même endroit, sûrement, répondit Tomás dans un bâillement.
— Lequel ?
— De Majorque, bien sûr.
L’enfant s’endormit.
— Ce pauvre gamin n’a donc personne, dit une voix grave derrière Isaac.
— Non, Romeu, il n’a plus personne.
— Vous le saviez déjà ! s’écria Regina en se levant de son tabouret. Sinon, pourquoi dormirait-il dans une cabane près de la rivière ?
— Il aurait pu faire une fugue, expliqua Romeu. Et, dans ce cas, quelqu’un aurait pu se lancer à sa recherche. Il m’a l’air d’un gentil garçon. L’esprit vif et intelligent.
— Comment pouvez-vous dire ça ? s’étonna sa fille.
— Il est encore en vie, répondit sèchement son père. Voilà comment je le sais.
— Je dois rentrer chez moi, dit Isaac. J’espère encore entendre quelqu’un susceptible de m’apporter d’intéressantes informations. Oh, si Tomás se réveille, demandez-lui si l’adolescent à la pèlerine portait un panier et si oui, quelle forme il avait. Bonsoir.
— Le capitaine sait-il où vous êtes allé, sergent ? demanda Berenguer avec froideur. Et ce que vous faisiez ?
— Non, Votre Excellence, malheureusement le capitaine avait affaire ailleurs et je n’ai pu l’informer, répondit le sergent impassible. J’ai demandé aux meilleurs de mes hommes de me remplacer pendant mon absence et je suis allé voir s’il y avait du vrai dans les rumeurs qui circulent.
— Et alors ?
— On a découvert quelque chose d’intéressant, Votre Excellence. Un jeune homme, de dix-sept ans environ, est venu travailler avec l’intendant d’une grande propriété sise à l’ouest de la route de Figueres, à une lieue d’ici environ. Il avait été recommandé par maître Jaume, le notaire, à qui il avait lui-même remis une lettre émanant d’une de ses connaissances, à
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