Le guérisseur et la mort
originaire de Majorque. Il a également décrit la pèlerine à capuche et le panier oblong que tous les autres ont vus lors de la livraison des poisons. Chaque chose en soi est bien minime, je le concède, ajouta-t-il avant que chacun pût objecter, mais ensemble elles sont assez suggestives.
— Mais où est-il ? Comment a-t-il su qu’il lui fallait s’enfuir au plus vite ?
— Je crois que c’est ma faute, dit le sergent. Je me suis rendu directement de la ferme à l’étude de maître Jaume et je lui ai posé plusieurs questions. Il a réveillé son assistant, qui m’a répondu et est reparti. Il est peut-être allé se recoucher, mais il peut aussi avoir fait un tour jusqu’à la finca pour informer son ami qu’on s’intéressait à lui.
— Comment savez-vous qu’ils étaient amis ? demanda l’évêque.
— Je n’en sais rien, Votre Excellence, mais voilà qui expliquerait bien des choses.
— Cela en expliquerait au moins une, renchérit Isaac. Je m’étais demandé comment maître Lucà pouvait savoir que maîtresse Magdalena avait modifié son testament en sa faveur, que maître Narcís avait fait de même ou encore que maître Mordecai avait envoyé chercher le notaire. Je sais que la rumeur va vite dans cette ville, mais le contenu d’un testament est généralement ignoré de tous à moins que le testateur n’explique à ses amis la répartition de ses biens à son décès. Maître Jaume Xavier a la réputation d’être discret, pour ne pas dire secret.
— C’est vrai, reconnut Berenguer. La personne la plus à même de savoir tout cela est le clerc de maître Jaume puisqu’il a recopié les testaments en question.
— Si les deux jeunes gens étaient amis, expliqua le sergent, ce Raimon pourrait logiquement détenir ces renseignements. Parce que, si le clerc avait raconté au premier compagnon de taverne venu ce qu’il savait des clients du notaire, leurs affaires privées s’étaleraient aujourd’hui sur la place publique. Si Votre Excellence veut bien m’excuser un instant, je crois pouvoir découvrir qui sont les compagnons du clerc de maître Jaume.
Il sortit dans le couloir et appela Gabriel.
— De plus, le clerc serait déjà remercié, dit Berenguer. Mais il n’y a là rien qui me convainque de l’innocence de Lucà. Qui d’autre voudrait empoisonner ces trois personnes ? Qui d’autre dispose d’un mobile suffisant ? J’ai du mal à croire qu’un homme jouerait à la fois son corps mortel et son âme immortelle en commettant un crime méprisable dans le seul but de nuire à autrui. Un homme dont nous ne savons même pas s’il le connaît. Et pourquoi Lucà ne cherche-t-il pas à se défendre ?
— Parce que nous ne lui avons pas posé les bonnes questions, dit Isaac. Il en sait peut-être même encore moins que nous. Interrogez-le sur Raimon et Joan Cristià.
— L’herboriste mort à Cruilles ? Ce peut être intéressant. Au fait, savez-vous quand Daniel doit revenir en ville ? Je ne crois pas pouvoir reculer encore le procès si l’on ne pose pas de nouvelles questions.
— Et qui s’en chargerait ? fit Isaac d’un ton innocent.
— Qui, je vous le demande, dit Berenguer en riant. Mais s’il ne se présente pas à son mariage, Isaac, nous devrons reprendre nos réflexions.
Pensif, Isaac revint lentement du palais épiscopal. Cacher Daniel à l’évêque ne serait pas chose facile, puisqu’il était presque impossible de le faire sortir de la ville par des moyens ordinaires. Le cacher à son oncle et à sa tante le serait encore moins, surtout à sa tante Dolsa, qui passait son temps à s’inquiéter à propos de son neveu, de son mariage, de sa sécurité et de Raquel. Mais le dissimuler dans sa propre maison sans que Judith le sache constituerait une expérience hors du commun.
— Ne vous inquiétez pas, papa, lui dit Raquel avec l’optimisme de la jeunesse. Maman est si occupée par Beniamin qu’elle néglige bien des choses.
Ce n’était pas tout à fait exact. Elle confiait certaines tâches à ses serviteurs, mais ne négligeait rien.
— Ne sous-estime pas ta mère, dut se contenter de dire Isaac.
D’une manière ou d’une autre, ils réussiraient à le dissimuler aux yeux de Judith.
Mettre Daniel à l’écart était un problème, certes, mais c’en était un autre que de débusquer Raimon, qui allait et venait en toute liberté comme un animal nuisible. Peut-être pourtant y avait-il une chose qui
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