Le guérisseur et la mort
supposant qu’il y en eût jamais un, ajouta Daniel, pensif. Peut-être a-t-il vu le capitaine de son bateau venir le chercher.
— Les seuls vaisseaux arrivés aujourd’hui sont ceux des pillards, dit Antoni. Évidemment, il peut avoir prévu de partir avec eux.
— Quoi ? Avec les pirates ?
— Non, cela ne semble pas possible. Je n’ai jamais entendu parler de pirates qui prévoient leurs intrusions avec tant de précision qu’ils puissent s’offrir le luxe de proposer une traversée à un simple voyageur.
— Je suis d’accord avec vous, mais alors pourquoi fuir en pleine tempête ?
— Les hommes sont de bien étranges créatures. Qui sait ? dit Antoni avec un sourire narquois. Maître Daniel, j’entends le crépitement de la pluie contre les volets. Puis-je vous suggérer de passer la nuit ici ? Vous serez à nouveau trempé en traversant la ville. Quant à moi, j’aurais plaisir à vous accueillir. J’ai pris la liberté d’avertir votre hôte de ne pas vous attendre tant que le temps ne sera pas revenu au beau.
Berenguer était couché, à demi éveillé, ni conscient ni inconscient, et cela dura toute la nuit. Jordi ne le quitta pas un seul instant, disposant des pierres au fond de son lit, faisant du feu ou lui frottant les mains pour les réchauffer. Raquel et Leah, Isaac et Yusuf l’assistaient tour à tour, lui épongeant le front ou l’obligeant à avaler du bouillon et des décoctions qui luttent contre la douleur et atténuent les fièvres. Tantôt il murmurait, et tantôt il appelait d’une voix rauque des gens dont seul Jordi avait entendu parler ; le reste du temps, il gisait, immobile, et ronflait parfois. Sa température ne cessait de monter en dépit de tous les breuvages qu’on lui administrait.
Au matin, Leah alla se coucher, épuisée. Yusuf et Jordi restèrent seuls un quart d’heure avec l’évêque pendant que Raquel et son père se restauraient de pain frais, de fromage, de fruits et d’œufs. La jeune fille était pâle d’épuisement et de découragement.
— J’ai tout essayé, papa. Tous les remèdes habituels. J’ai gardé sa bouche toujours humide, j’ai déposé les drogues goutte après goutte sur sa langue pour qu’il ne les rejette pas et qu’elles aillent directement dans son estomac. Et pourtant il est toujours à l’agonie.
— Entre la sixième heure de la nuit et la première heure du matin, ma chérie, principalement entre la neuvième heure et la première, rien ne semble devoir faire effet. L’espoir demeure quand on parvient à garder le malade en vie durant tout ce temps. Tu as bien agi. À présent va te coucher et dors. Yusuf et moi prendrons la relève. Il devient de plus en plus utile, ce garçon… pas autant que toi, évidemment, et pas comme je le voudrais.
— Papa, tu es injuste. Il mérite mieux que ça.
— Peut-être. Allez, va te coucher.
Quand Isaac revint voir son patient, l’évêque dormait. Un sommeil troublé, de toute évidence, mais plus profond qu’il ne l’était auparavant.
— Depuis combien de temps est-il ainsi ?
— Depuis que les cloches ont fini de sonner prime, maître Isaac, répondit Jordi à voix basse. Il s’est agité en les entendant, mais dès qu’elles ont cessé, il a avalé un peu de bouillon et il s’est endormi.
— Excellent. Nous pouvons le laisser dormir un moment, mais il ne doit pas rester trop longtemps sans s’abreuver.
— Je serai à son chevet, maître Isaac.
— Non, Jordi, toi aussi tu dois dormir. Tu veilles depuis un jour et une nuit. À quoi te servirait de tomber malade par manque de sommeil ? Va te reposer quelques heures. Je te réveillerai quand j’aurai besoin de toi.
— Je serai là, dit Jordi en indiquant une issue masquée par une portière. J’ai une couchette dans cette alcôve. Comme il n’y a qu’un rideau entre nous, j’entendrai si mon maître a besoin de moi.
Isaac s’assit doucement à côté du lit. Privé du bavardage de Yusuf, il pensa que celui-ci avait dû s’endormir dans un coin de la pièce. Il écouta la respiration légère et régulière puis il hocha la tête de satisfaction. Il passa quelque temps à réfléchir aux maux de son patient puis médita sur d’autres sujets, plus graves ceux-ci.
Mais à tout moment, sans même y penser, il épiait le moindre bruit. Soudain, il se redressa sur sa chaise et huma l’air. Il se rapprocha du lit et se concentra intensément sur le souffle de
Weitere Kostenlose Bücher