Le guérisseur et la mort
été surprise de l’entendre lui répondre. Elle secoua la tête. L’air nocturne était peut-être néfaste à son patient. Elle referma les volets, tira les tentures et revint dans la pièce.
Il y avait là quelque chose de différent, et elle s’immobilisa, mal à l’aise, consciente d’avoir négligé son malade. La bougie placée près du lit crachotait et menaçait de s’éteindre. Elle s’empressa d’en placer une nouvelle, qu’elle alluma à l’ancienne. Elle attisa le foyer où ne subsistaient plus que des braises et nettoya l’extrémité de la chandelle usée.
La pièce lui apparut aussi claire que le jour. Elle se pencha sur son patient et sentit aussitôt une bouffée de joie l’envahir tout entière. Le visage gris et hâve présentait désormais une pâleur plus saine, et la respiration semblait moins haletante. Elle lui posa la main sur le front et le trouva toujours anormalement brûlant. Elle s’apprêtait à réveiller son père quand le doute l’assaillit. L’évolution, si évolution il y avait, était minime. Son père était aussi fatigué qu’elle, sinon plus. Et elle craignait de passer pour une écervelée.
— Jordi, appela-t-elle doucement.
Jordi arriva sans faire le moindre bruit. Hormis son allure quelque peu débraillée, on l’eût cru réveillé depuis des heures.
— Oui, maîtresse Raquel ? murmura-t-il tout en posant un regard inquiet sur son maître.
— Regarde-le bien, Jordi. Qu’en dis-tu ?
— Je crois qu’il va mieux. Le Seigneur soit loué.
— Peux-tu rester à ses côtés tandis que je vais chercher mon père ?
Sans même attendre sa réponse, elle quitta la pièce.
— Il a l’air d’aller un peu mieux, papa, dit Raquel quand son père se fut redressé après avoir examiné l’évêque.
— Oui, dit Isaac. Jordi est-il du même avis ? s’enquit-il. Car il le connaît bien mieux que nous.
— Effectivement, maître Isaac.
— Dois-je m’en tenir au même traitement ? demanda Raquel.
— Oui. Jusqu’à ce qu’il éprouve une légère douleur en avalant. Cela ne suffit pas d’écarter la mort. Nous devons lutter pour qu’il recouvre la santé.
— Je l’espère, dit la voix brisée qui s’élevait du lit. Sinon pourquoi vous paierais-je, mon ami ?
— Savez-vous où vous vous trouvez, Votre Excellence ? lui demanda Isaac.
— J’ai chaud, Isaac. Cela veut dire que je ne puis être à l’abbaye. J’ai rêvé que nous étions à Cruilles, mais cela me semble impossible.
— Et pourtant, vous y êtes, Votre Excellence. Vous avez été des plus déraisonnables de chevaucher jusqu’ici dans votre état, mais vous y êtes tout de même arrivé.
— Papa, il s’est rendormi.
— Alors laissons-le un instant, puis nous reprendrons nos soins.
La lumière s’infiltrait sur les bords des lourdes tentures quand Isaac revint. Il écouta attentivement le rapport de Raquel puis il acquiesça.
— Il n’est pas encore tiré d’affaire, murmura le médecin, mais l’espoir nous est rendu. Tu peux aller te coucher, ma chérie. Je t’enverrai chercher si nécessaire. Où est Yusuf ?
— Je crois qu’il est parti chercher à manger, papa. Avez-vous besoin de lui ?
— Non, l’excellent Jordi ici présent est plus utile et plus fiable que quiconque.
Monté sur un âne d’allure peu amène, un personnage efflanqué, vêtu comme un pauvre marchand, entra dans la bourgade de La Bisbal. Hagard, il semblait épuisé, mais aussi préoccupé par des affaires autrement plus pressantes que son voyage. Il héla la première personne d’allure respectable qu’il rencontra.
— ¡ Hola ! señor, vous êtes d’ici ?
— Effectivement, messire, répondit l’autre. Je suis clerc au palais épiscopal. Vous êtes étranger ici, n’est-ce pas ?
— Oui, mais dites-moi, Son Excellence l’évêque est-elle ici ?
— Non, mais monseigneur Berenguer ne se trouve pas très loin puisqu’il est en son château de Cruilles. Si vous avez un message, je veillerai à ce qu’il lui soit transmis.
— Non, fit l’homme, l’air égaré. Je dois le voir. Où se trouve la route ?
— Juste devant vous, à main gauche.
— Merci pour votre courtoisie. Mais, si je puis me permettre… Connaissez-vous un potier du nom de Baptista ? Je dois lui ramener cet âne que son cousin lui a emprunté.
— Son atelier est situé sur la route de Cruilles, non loin d’ici. Mais peut-être feriez-vous
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