Le guérisseur et la mort
mieux de vous arrêter pour prendre un peu de repos. Il y a une auberge à quelques pas d’ici. Vous paraissez malade, dit le clerc en le regardant plus attentivement.
— Ce n’est rien. À combien sommes-nous de Cruilles ?
— C’est tout près, mais je crois que l’évêque a été souffrant : il ne pourra certainement pas vous recevoir, et vous aurez fait tout ce voyage en vain. Avant-hier, ils sont allés chercher son médecin personnel. À Gérone.
— Ne craignez rien, dit l’étranger. Je vous remercie.
Sur quoi, il reprit sa route.
V
… aquells són decebuts … ceux qui sont trompés
Isaac était assis au chevet de son patient. Plongé dans ses pensées, il réfléchissait à plusieurs problèmes pratiques tout en portant une extrême attention à la respiration du malade alité. Son Excellence dût-elle ne pas guérir, les problèmes pratiques ne seraient pas seuls en jeu…
Un coup frappé à la porte l’arracha à ses sombres pensées. Il l’entendit s’ouvrir et reconnut la démarche de Yusuf.
— Pardonnez-moi cette intrusion, seigneur, mais un personnage bien étrange attend dans la pièce attenante à l’escalier. Il est arrivé ce matin et il semblait si malade qu’on m’a prié de prendre soin de lui. Ils ne voulaient pas vous déranger, vous ou maîtresse Raquel.
— Qu’a-t-il, Yusuf ? Malade , voilà qui ne me renseigne guère.
— Il est couvert de croûtes et de bleus, seigneur, et sa peau est rouge par endroits. Je ne pense pas que ces blessures soient responsables de son état général. Il est faible et souffre beaucoup. Il insiste pour vous voir ainsi que Son Excellence. Je lui ai expliqué que Son Excellence était elle-même trop malade pour le recevoir, mais il m’a supplié de vous prévenir.
— M’a-t-il demandé par mon nom ?
— Oui, seigneur, quelqu’un lui avait dit que le médecin personnel de Son Excellence se trouvait ici, et il a prononcé votre nom. Si je puis me permettre, il me semble très mal en point…
— Dans ce cas, je dois y aller. Jordi, peux-tu rester ici afin de veiller sur ton maître ? Je pense qu’il vaut mieux le laisser dormir jusqu’à ce que les cloches sonnent à nouveau, mais si tu constates que son état se dégrade, envoie-moi chercher.
— Certainement, maître Isaac.
— Yusuf, conduis-moi jusqu’à cet étranger.
— Et qui êtes-vous, messire, pour venir jusque ici et me demander ? s’enquit Isaac. Je suis au chevet d’une personne très malade.
— Je suis un voyageur, maître Isaac, répondit l’homme haletant allongé sur le lit. Je m’appelle Joan Cristià. J’ai quelque connaissance de la médecine et des plantes, et je puis vous assurer que les ecchymoses qui ont tant intrigué votre jeune confrère ne sont pas très importantes.
— En êtes-vous certain ? Yusuf m’a dit que votre visage et votre tête avaient subi bien des dommages, d’où qu’ils vinssent.
— Cela importe peu, maître Isaac. C’était il y a près de deux jours. J’ai été étourdi sur le coup mais je n’ai rien ressenti depuis. Je crains cependant qu’il ne me reste que peu de temps si vous ne me venez en aide, dit-il d’une voix qui n’était plus qu’un murmure. Faites sortir tout le monde, je vous en conjure.
— Je vois par les yeux de Yusuf et je sais qu’on peut lui faire confiance. Mais si vous le désirez, tous les autres s’en iront.
Le serviteur qui avait débarrassé Joan Cristià de ses habits crottés et déchirés avant de lui passer une chemise propre claqua la porte.
— Je l’ai offensé, je le sais, dit l’étranger, mais je n’y puis rien. Maître Isaac, je vous en supplie, votre assistant ou vous-même pourriez me faire une puissante décoction de plantes ?
— Lesquelles ? demanda Isaac, intrigué par cet homme qui avait fait appeler un médecin avant d’établir son propre diagnostic et de décider de son remède.
— De la gentiane, des baies de genièvre écrasées ainsi que des racines de chardon. Broyez-les avec des feuilles de plantain encore fraîches et des fleurs de rue.
— Qu’est-ce qui vous aurait empoisonné pour exiger une telle décoction ?
— Je n’ai pas le temps de vous expliquer. Je suis certain de ce qu’il y avait dans la boisson qu’on m’a donnée.
— Ne vaudrait-il pas mieux commencer par nettoyer l’estomac ? suggéra Isaac. J’ai ici une teinture de baies…
— Il est déjà trop tard. J’ai fait tout mon
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