Le guérisseur et la mort
possible dès que j’ai compris ce qui se passait.
— Nous avons quasiment tout avec nous, seigneur, dit Yusuf. On trouvera facilement le reste dans le champ. J’envoie quelqu’un.
— Hâte-toi, mon garçon, hâte-toi, fit le malade.
— Je dois me rendre un instant auprès de mon patient, dit Isaac, mais je reviendrai vous voir.
Isaac fit rentrer le serviteur et lui donna pour instruction de veiller à ce que l’étranger se sentît le plus au chaud et le mieux possible.
Yusuf arriva avec la mixture peu après le retour d’Isaac.
— Tout est là, mon garçon ? demanda Cristià.
— Oui, messire.
— Alors donne-la-moi.
Il agrippa la coupe mais ses mains tremblaient tellement qu’il ne put la porter à ses lèvres. Yusuf l’aida à boire. En grelottant, il avala le tout puis retomba sur son oreiller.
— Dieu sait si cela m’aidera. Je l’ai concoctée pour tant de gens… aujourd’hui, je vais savoir si elle est vraiment efficace.
— Souhaitons-le, dit Isaac. Ou espérons que vous vous êtes fourvoyé en croyant qu’on vous a donné du poison.
— J’en doute. Pour le coupable, c’est la même chose d’empoisonner quelqu’un ou de lui offrir une coupe de vin. Je le savais, mais j’ignorais qu’il agirait de même avec son maître… le traître, l’impitoyable traître !
— D’où venez-vous, messire, pour avoir reçu ici un tel accueil ? Car votre façon de parler n’est pas celle de nos régions.
— D’où ? bredouilla l’homme en clignant des yeux. Je viens… je viens de Gênes. L’orage m’a jeté sur vos côtes. Notre vaisseau avait jeté l’ancre avant qu’il n’éclate, mais le canot qui m’a amené ici a dû affronter des vagues énormes. C’est ainsi que j’ai reçu tous ces coups.
— Où avez-vous gagné la terre ferme ? À Palamós ?
— Palamós ! s’écria le voyageur. Non, ce n’est pas là que je suis arrivé. Il ne faut pas aller à Palamós. Il y a de la traîtrise là-bas.
Il agrippa la manche d’Isaac.
— Je dois voir l’évêque. J’ai des choses à lui dire. Conduisez-moi auprès de lui. J’ai soif, oh, j’ai si soif…
— Cela ne vous servirait à rien, il est trop malade pour vous recevoir. Il dort à l’heure qu’il est mais, même éveillé, il sait à peine où il se trouve.
— Je dois le voir, répéta Joan Cristià. Lui et les officiers du roi. Peu importe ce qui m’attend. J’ai entendu, j’ai vu de telles choses… vous ne pourriez croire à cette traîtrise, et pourtant il m’a trahi.
— Yusuf, dit Isaac, va chercher le père Bernat et demande-lui d’emmener un scribe. Les paroles de cet homme doivent être entendues par un témoin et jetées sur le papier. Maître Joan, faites un effort, je vous en prie. Il ne suffit pas d’avaler quelque chose.
— Oui. Mes membres ne tremblent plus, je veux dormir.
— Non, pas encore. Il vous faut rester éveillé. Parlez-moi. Parlez-moi de vous.
— Je m’appelle Joan Cristià.
— Êtes-vous un converso pour porter un tel nom ?
— Pourquoi me demandez-vous ça ? cria le malade comme pris de panique. Vous soignez un évêque. Pourquoi pas un converso ?
— Je ne pose la question que dans votre intérêt. Quel nom portiez-vous avant votre conversion ? Peut-être connais-je votre famille.
— Certainement pas. C’était… mais cela n’a pas d’importance. J’ai oublié ce pan de ma vie.
— Vous êtes un voyageur, dites-vous.
— Oui, j’ai connu bien des pays… de Gênes à Venise, de la Sardaigne à Constantinople… toujours dans le même but, la quête de remèdes.
Bernat arriva en courant, comme à son habitude, suivi d’un jeune scribe porteur d’une écritoire, d’une plume et d’encre.
— Vous m’avez fait demander, maître Isaac ? demanda le secrétaire de Berenguer.
— Veuillez m’en excuser, père Bernat, dit Isaac à haute et intelligible voix, mais cet homme désire avertir Son Excellence de quelque danger.
Il se leva et se dirigea vers le prêtre. Sa voix n’était plus alors qu’un murmure.
— C’est une affaire urgente. Il croit avoir été empoisonné et je pense qu’il n’a pas tort. Nous n’avons pas beaucoup de temps. Quand Son Excellence sera remise, elle désirera savoir ce qu’a dit cet étranger. Même si je fais de mon mieux, je ne pense pas qu’il survivra. La mort rôde autour de sa couche.
Il regagna son siège. La porte s’ouvrit à nouveau et le sergent de la
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