Le guérisseur et la mort
débarras.
Elle serra le bébé contre elle et se prépara à rentrer dans sa masure.
— De quelle direction venait-il ? demanda le sergent. De l’abbaye ou de la ville ?
— La ville, voyons, répliqua-t-elle. Comme si les frères allaient lui donner assez à boire pour le mettre dans cet état !…
— Merci, ma brave femme. Mais où sont passés les autres ? ajouta-t-il en désignant le village désert.
— Aux champs, évidemment. Moi, dit-elle en tapotant son ventre rond, je peux plus me pencher, c’est pour ça que je reste ici depuis quelques jours.
Le sergent et son compagnon prirent la route de La Bisbal et rencontrèrent deux autres personnes en chemin : ni l’une ni l’autre n’avaient vu un étranger cheminer vers le château.
— Les routes étaient recouvertes de boue, dit l’un d’eux. Jusqu’à aujourd’hui, les hommes et les bêtes arrivaient pas à marcher.
Quand ils arrivèrent devant la modeste échoppe de Baptista le potier, non loin de la route de La Bisbal, le sergent fit halte et mit pied à terre.
— Baptista est toujours là, dit-il au jeune garde. Avec un peu de chance, il aura remarqué d’où venait notre homme.
— Un étranger ? s’étonna le potier. Quel genre d’étranger ? Personne n’est passé par là, à part le brave homme qui m’a rendu mon âne.
— Je ne sais au juste, dit le sergent d’un air détaché. Quand était-ce ?
— Le lendemain de… non, deux, peut-être trois jours après l’orage. Les routes étaient encore humides. La pauvre bête était toute crottée. J’étais bien content de la revoir. Il m’a payé pour en avoir fait usage, même si, normalement, mon cousin lui a donné de l’argent pour qu’il me la ramène. Il est très près de ses sous, mon cousin.
— L’étranger, il vous a parlé de lui ?
— Non. Je lui ai demandé s’il voulait prendre quelque chose avant de poursuivre son chemin, mais il m’a répondu qu’il avait un message urgent pour l’évêque et il a déguerpi.
— À pied ?
L’homme acquiesça.
— D’où venait-il pour y avoir emprunté votre âne ?
— De Palamós.
Après avoir eu connaissance du nom et de la profession du cousin, les deux gardes s’en revinrent faire leur rapport au château et se préparer à partir le lendemain pour Palamós.
L’évêque passa tout l’après-midi dans un état proche de la torpeur. Son sommeil était agité et il s’éveillait par instants. Chaque fois qu’il entrouvrait les yeux, Yusuf, puis Raquel quand elle l’eut remplacé, l’incitait à boire – de l’eau, du bouillon, peu importe. Avaler le faisait toujours souffrir, et, après une ou deux gorgées, il refusait de continuer. Mais la fièvre semblait avoir quelque peu diminué ce troisième après-midi, et Isaac paraissait moins inquiet.
— Je ne m’attends pas à de grands changements avant un jour ou deux, confia-t-il à Bernat, mais son état n’a pas empiré et c’est ce qui importe.
— Voulez-vous dire qu’il est hors de danger ?
— Nullement. Vous le saurez quand il en sera ainsi, je vous l’assure. Une autre nuit pénible nous attend.
Cette nuit-là, ils veillèrent donc à tour de rôle, ne se relayant que lorsque les cloches sonnaient. En compagnie d’un des serviteurs, Yusuf prit la première garde, de complies jusqu’à matines, puisque Berenguer semblait avoir sombré dans un profond sommeil. Il avait reçu des instructions très strictes : faire boire Son Excellence au moins deux fois et appeler quelqu’un s’il observait le moindre changement. Raquel et Leah lui succédèrent de matines à laudes, puis Jordi et Isaac restèrent à son chevet de laudes à prime, pendant les heures les plus redoutables de la nuit, celles où la vitalité s’étiole et où l’espoir se meurt.
— Il me semble être toujours semblable, dit Raquel quand elle les quitta.
Elle avait l’impression de répéter sans cesse les mêmes phrases.
— Repose-toi, ma chérie, la rassura Isaac, tu as bien agi.
Les premières lueurs du jour traversaient les volets et tombaient sur le sol quand Berenguer s’éveilla.
— Êtes-vous toujours ici, mon ami ? Votre épouse va venir vous chercher si vous vous attardez trop.
— Votre Excellence, pourriez-vous me dire où nous nous trouvons à l’heure actuelle ?
— En rêve, quelqu’un me disait que nous étions à Cruilles, mais cela ne peut être vrai.
— Vous êtes bien à Cruilles,
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