Le guérisseur et la mort
la doivent, tous, oui, tous, ils m’éloignent de ma vie… prennent tout pour eux…
Il lutta pour s’asseoir, mais Isaac posa doucement la main sur sa poitrine et l’obligea à reposer la tête sur l’oreiller.
— Sur ses gardes ! hurla l’homme, paniqué, avant de revenir au murmure. Je lui ai tout appris… Des voleurs… ce sont tous des voleurs… nul autre ne sait ce que je lui ai enseigné… m’ont pris la moitié de mon or, mais ils n’auront pas le reste. Il n’est pas aussi malin.
— Qui donc, maître Joan ? le pressa Isaac. Qui n’est pas assez malin ? Quel est son nom ?
— Je ne suis pas un voleur. Je ne prends que ce qu’il me doit. Je ne suis pas un voleur. C’est ce satané garçon. Il ne comprend pas.
— Quel garçon, Joan ?
— Si je n’avais pas… il n’aurait pu… dit-il d’une voix qui s’affaiblissait d’instant en instant. Dites à l’évêque… nulle part en sécurité… nulle part… traqué de port en port quand les royaumes tombent les uns après les autres.
Le malade se tut. Il chercha à reprendre son souffle et Yusuf lui humecta le visage. Le scribe achevait d’écrire et se hâtait de changer de plume.
— Votre seigneur est-il Mariano d’Arborea ? demanda Bernat. Venez-vous d’Alghero ?
— Maudits soient-ils tous ! s’exclama-t-il soudain. Des voleurs, des menteurs, des traîtres, tous tant qu’ils sont ! Puissent-ils crever comme des chiens et pourrir en enfer avec ceux qui grimpent leurs catins de mères !
— Il nous quitte, dit Isaac, je le sens.
— Joan, mon fils, intervint Bernat. Ne mourez pas en proférant de telles malédictions. Je dois lui parler seul à seul, ajouta-t-il en se tournant vers les autres.
Avant même qu’ils eussent franchi la porte, Joan Cristià se raidit une ultime fois sous l’effet de la douleur, jura à nouveau et retomba.
Isaac se pencha vers lui et posa l’oreille contre sa poitrine. Puis il palpa le cou du malheureux.
— Il n’est plus, annonça le médecin.
— Ce n’est pas une fin très édifiante, dit le scribe qui parlait pour la première fois. Mais si j’avais été empoisonné, je n’aurais sans doute pas été plus digne.
— Que savons-nous de lui ? demanda Bernat qui posait un regard soucieux sur le défunt. Nous allons lui donner une sépulture mais, s’il a de la famille, celle-ci devra être informée de sa mort. Dans ses habits était dissimulée une bourse contenant six pièces sans grande valeur, et puis, attachée à sa personne, une autre bourse renfermant, elle, cinquante maravédis d’or. Cette somme doit aller à ses héritiers. Je l’ai fait mettre en sécurité.
— Nous connaissons son nom, dit Isaac. Si tel est bien son nom. Car je crains, père Bernat, qu’il ne soit pas aussi honnête que vous.
Pour la première fois depuis l’instant où il avait franchi la porte, le sergent Domingo, de la garde épiscopale, prit la parole.
— Si j’ai bien compris ses paroles, mon père, il était impliqué dans une affaire qui sent le roussi, à mon avis. Comment est-il arrivé ici ? Était-il seul ? Où est-il allé auparavant ? Nous devrions essayer de mettre la main sur ses complices parce qu’ils connaissent certainement les réponses. Je ne puis ignorer les menaces proférées à l’encontre de Son Excellence. Si des hommes œuvraient avec lui et sont aujourd’hui en état de parler, nous devons les retrouver sans plus attendre.
— Comment cela ?
— Je vais prendre un de mes hommes et me rendre dans toutes les fermes et habitations des environs. Quelqu’un a bien dû le voir débarquer ici. Quand j’aurai un témoin sous la main, je me mettrai en quête de celui qui l’a vu avant ça.
— Je dois retourner auprès de mon patient, s’excusa Isaac. J’ai laissé ma fille à son chevet et elle a grand besoin de repos.
Le sergent Domingo était habitué à une vie où le succès venait parfois couronner des efforts acharnés. Cela ne l’étonna pas qu’une seule villageoise eût aperçu Joan Cristià s’avancer en titubant vers le château.
— Complètement éméché qu’il était, oui, dit-elle en frappant sur la tête un marmot braillard qui, l’on s’en doute, cria de plus belle. Si tôt le matin. Devrait avoir honte. C’est lui, l’homme qui est mort au château ? D’ivrognerie, à coup sûr. J’arrête pas de dire à mon Roger que c’est ce qui va lui arriver, et puis après tout, bon
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