Le guérisseur et la mort
l’encontre d’un noble puissant pourrait causer plus de mal que de bien à Sa Majesté.
— J’ai eu l’impression, dit Isaac, qu’il était – ou avait été – au service d’un membre de la famille des Arborea, et qu’il avait été congédié à juste titre.
— Une chose est claire. Il était l’un de ces deux chenapans, et si notre « angelot », Rafael, Raul ou Ramir, se présente ici, il sera arrêté. Mais de là à dire comment il s’appelle…
— Les garçons portant des noms ressemblant à Rafael sont aussi nombreux que les « angelots », pour reprendre l’expression de Son Excellence, fit remarquer Bernat d’un air sombre.
Le dîner attendait depuis plus d’une heure quand Isaac et Yusuf rentrèrent enfin à la maison. À l’instant où ils avaient quitté leur deuxième patient, le temps incertain s’était brusquement changé en une averse épouvantable. La violence du vent était telle que la pluie leur cinglait le visage et frappait les pavés avant d’éclabousser bottes, tuniques et capes. Trempés, tout tremblants, ils retrouvèrent la chaleur bienveillante de la solide maison de pierre du médecin.
— Mais que faisiez-vous donc dehors par un tel déluge ? demanda Judith en quittant la table familiale où chacun attendait leur retour.
— Oh, ce ne sont que quelques gouttes, ma mie ! lui répondit son mari. Il nous suffit de nous changer et tout ira mieux.
— Venez avec moi, je vais vous sécher et vous trouver des habits secs.
Isaac la suivit avec docilité quand elle l’installa près de l’âtre.
— Restez là.
Sans perdre un instant, elle entra dans la chambre à coucher, ouvrit une grande armoire et tira une pile de vêtements de l’une des étagères. Elle les disposa devant la cheminée pour qu’ils s’imprègnent de la chaleur du feu. Puis elle dénoua les cordonnets qui fermaient la cape et la capuche d’Isaac, déboutonna sa tunique et défit sa chemise. Elles rejoignirent ses chausses et ses bottes pour former un gros tas humide posé à même le sol.
— Vous grelottez, dit-elle d’un ton sec.
Naomi, la cuisinière, apporta une grande serviette chaude et le frotta énergiquement comme lorsqu’elle était sa nourrice et qu’il n’était qu’un petit enfant.
Judith prit la chemise que le feu avait réchauffée et la lui enfila.
— C’est de la folie de sortir par un temps pareil, dit-elle avant de lui passer ses chausses. Il fallait rentrer dès les premières gouttes. Qu’allons-nous faire, l’enfant et moi, si vous venez à mourir ?
Naomi l’aida à enfiler sa tunique.
— Maîtresse, je vais chercher ses mules fourrées. Je les ai placées devant l’âtre dès qu’il s’est mis à pleuvoir.
— Là, dit Judith en fermant le dernier bouton. Vous allez maintenant avaler de la soupe chaude. Comment vous sentez-vous ?
— Mieux, dit Isaac, mais j’ai toujours froid.
— Je vais faire allumer un feu dans notre chambre, mais vous devez d’abord manger.
Naomi apporta dans la salle à manger une grande marmite de soupe qu’elle posa sur une desserte. Il s’en élevait une délicieuse odeur de poulet aux légumes, mais aussi d’oignon et d’ail, de poivre et de safran. Elle plaça une épaisse tranche de pain grillé dans l’assiette d’Isaac et versa dessus une pleine louche de soupe.
— Voilà, il n’y a rien de tel pour un jour comme aujourd’hui. Ensuite, vous mangerez le poulet accompagné d’une bonne sauce revigorante.
— Merci, Naomi, dit Isaac. Que pourrais-je souhaiter de meilleur ?
— Où est Yusuf ? demanda Judith.
— Je l’ai installé dans la cuisine pour l’avoir à l’œil. Il est toujours trempé, mais il mange ma soupe.
— Il n’est plus question qu’ils sortent tant qu’ils ne seront pas remis, et peu importe qui les demande ! affirma Judith.
— Je dois veiller sur mes patients, dit timidement Isaac.
— Vous allez vous reposer.
— Je m’en chargerai, papa, intervint Raquel. Yusuf et vous resterez bien au chaud.
— Tu ne peux tout de même pas sortir seule, dit Isaac, plus inquiet que furieux.
— C’est vrai. Je prendrai Leah avec moi, marcher lui fera du bien, et Ibrahim, qui pourra nous défendre même s’il n’est pas très robuste. Je serai à la fois respectable et protégée. Si vous vous faites toujours du souci, je demanderai à Daniel de nous accompagner, et nous foulerons tous les quatre de nos bottes boueuses le sol de la
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