Le guérisseur et la mort
retour, Daniel, déposant ses outils, déclara à son oncle qu’il s’accordait un peu de repos.
— Dis à maître Isaac que nous lui rendrons visite avant l’heure du souper, lui répondit calmement Éphraïm, et Daniel s’élança dans la fraîcheur de l’après-midi.
On s’empressa de lui faire une place à table, et Daniel s’installa juste à côté de Raquel.
Une fois que Judith eut appris à quoi ressemblait le château de Cruilles et le nombre exact de ses chambres à coucher, elle secoua la tête.
— Ça m’a l’air bien petit pour un château. Je croyais qu’ils étaient très riches.
— Non loin de là, ils en ont un autre, bien plus grand, lui expliqua Raquel. Mais Son Excellence aime particulièrement celui-là et c’est là qu’elle a demandé à être menée. Quand êtes-vous revenu à Gérone ? demanda-t-elle à Daniel en se tournant soudain vers lui. Nous étions sans nul doute tout près l’un de l’autre.
— D’une certaine façon, oui.
— Cela vous a-t-il plu de voyager aux côtés du jeune maître Rubèn ? ajouta-t-elle d’un ton moqueur. Il ne m’a pas fait l’effet d’être le compagnon idéal, mais il faut dire que je lui ai à peine adressé la parole. Mérite-t-il d’être connu ?
Daniel mangeait du poisson grillé et il faillit s’étrangler.
— Vous n’êtes donc pas au courant ? Vous ignorez que Rubèn s’est jeté dans les bras des pirates ?
— De quoi parlez-vous ?
— Je ne devrais pas rire, ce n’est pas charitable, mais il commençait à m’agacer. Nous avions à peine atteint Sant Feliu de Guíxols qu’ils ont attaqué la ville, ainsi qu’ils l’ont déjà fait à plusieurs reprises au cours de ces dernières années, et Rubèn a détalé comme pour se joindre à eux. Malgré le vent et la pluie, nous l’avons cherché dans toute la ville, en vain.
— Que lui est-il arrivé ? demanda Isaac.
— Nul ne le sait vraiment, mais maître Mordecai a reçu de son agent une lettre lui indiquant qu’un corps, très abîmé par la mer, avait été rejeté sur le sable. Il avait les cheveux clairs et des bottes qui pouvaient être celles de Rubèn. Il précisait quand même qu’il n’était certain de rien.
— Vous ne croyez pas que c’était Rubèn ?
— Je ne saurais dire. J’ai du mal à croire qu’une telle chose ait pu lui arriver. Mais j’ai eu aussi des difficultés à imaginer qu’il puisse s’enfuir en pleine attaque de la ville. Je suis navré de l’avouer, mais je ne l’aimais pas. S’il est mort, c’est triste pour ma famille, mais je ne le pleurerai pas.
Après cette oraison, la conversation porta sur des sujets plus agréables.
Une fois dans son palais, l’évêque se reposa pendant quelques jours, dormant dans son lit douillet, réchauffé par un bon feu et des couvertures en fourrure, et requinqué par les meilleurs plats sortis de ses cuisines. Puis, progressivement, il se remit au travail. Il signa d’abord quelques papiers indispensables, des licences et des autorisations qui ne pouvaient attendre, déposés devant lui par Bernat. Plus tard, il insista pour lire les documents qu’il parafait. Plus tard encore, il exigea que l’on changeât la tournure de plusieurs phrases, et tout le monde s’en trouva soulagé. Son Excellence redevenait elle-même.
Un matin, il se rendit dans son cabinet et fit demander Bernat et le scribe.
— Que se passe-t-il ici ? demanda-t-il en voyant sa table de travail exempte de tout parchemin. Il n’y a même pas une particule de poussière.
— J’ai pensé que Son Excellence ne se sentirait pas prête à reprendre les affaires, s’excusa Bernat. Pas encore, du moins, c’est pourquoi j’ai tout fait porter dans mon propre cabinet.
— Sans peut-être pas tout revoir aujourd’hui, Bernat, si je ne m’y mets pas dès à présent, cela deviendra vite très difficile.
Bernat se retint de dire qu’à son avis ce l’était déjà.
— Oui, Votre Excellence. Que désirez-vous que je vous apporte, les dernières dépêches ou les plus anciennes ?
— Toutes, Bernat. J’aime savoir ce qui m’attend, je ne veux pas le découvrir par bribes.
Bernat adressa un regard au scribe qui bondit sur ses pieds et quitta la pièce en compagnie du secrétaire. Quand ils revinrent, chacun avait les bras chargés d’une pile de documents.
— Dois-je les poser sur mon bureau ? demanda Bernat.
— Certainement pas, répondit Berenguer. Sur le
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