Le guérisseur et la mort

demeure de vos patients.
    — Je suis vaincu, une fois encore, soupira Isaac. Il ne me reste plus qu’à manger ma soupe…
     
    Les vêtements chauds, la soupe au pain et à l’ail, la tiédeur de la chambre à coucher et la chaufferette n’y firent rien : le lendemain matin, Isaac se réveilla avec de la fièvre et la gorge endolorie.
    Outre les patients de son père, Raquel dut également s’occuper de lui.
    — Ce n’est pas parce qu’on a reçu la pluie hier, dit Isaac d’une voix rauque. C’est la même maladie dont souffrent trois de mes patients.
    — Le froid et l’humidité n’ont rien arrangé, papa. Maintenant buvez ceci, vous prendrez ensuite du bouillon chaud. J’espère que vous vous montrerez plus coopératif que Son Excellence.
     
    Deux semaines s’écoulèrent avant que Judith permît à qui que ce soit de prononcer devant son époux un mot relatif à son travail. Des amis apportaient des mets délicats qui, ils le souhaitaient sincèrement, adouciraient la gorge la plus irritée du monde. Protégés de la dureté du climat, le verger et les jardins de l’évêque produisaient des fruits tardifs et des herbes médicinales qui faisaient l’admiration de Naomi.
    Judith finit par céder. Depuis deux ou trois jours, son mari avait quitté le lit et errait comme une âme en peine. Les serviteurs ne cessaient de se plaindre qu’il les dérangeait à tout moment dans leurs tâches ménagères. Judith permit alors à un messager de Son Excellence de pénétrer dans la maison.
    — Son Excellence dit ne pas vouloir vous arracher à la chaleur de votre foyer si vous ressentez encore les effets néfastes de votre maladie, ânonna le jeune garçon qui faisait de son mieux pour réciter sans erreur un texte appris par cœur. Si tel est le cas, pourriez-vous lui adresser de ce… de cette… enfin de ce que vous lui avez donné.
    — De quoi souffre Son Excellence ? s’enquit Isaac. Cela change tout, tu sais ?
    — Oh, de la goutte, elle a dit que c’était la goutte.
    — Dans ce cas, je vais lui rendre visite. Je crois que le soleil luit enfin.
    — C’est exact, maître Isaac. Quand j’ai quitté le palais, le soleil brillait si fort qu’il m’a aveuglé. La tramontane a chassé les nuages et le soleil a réchauffé les pavés des rues. Mais à l’ombre, il fait encore frais, ajouta-t-il à voix basse.
    — Ma cape la plus épaisse me permettra d’affronter une petite chute de température.
    — Je vais vous la chercher, soupira Judith. Et je vous envoie Yusuf.
     
    — Je me porte bien depuis plusieurs jours, Votre Excellence, mais mon épouse m’a cantonné près du feu de crainte que je ne commette une imprudence et ne retombe malade. Votre message a été le bienvenu. Je n’aime guère l’oisiveté.
    — Et moi je n’aime guère la goutte, grommela l’évêque. Ces ignorants n’ont pas préparé suffisamment de votre remède, et il n’en restait plus quand le mal m’a frappé. Mais je vous sais gré d’être venu.
    — J’en ai donné à Jordi qui va vous en apporter une coupe. Puis-je examiner votre pied pour voir comment l’enflure évolue ?
    Jordi entra alors à pas feutrés. Il prit un tabouret et le plaça devant le repose-pieds de Berenguer afin qu’Isaac s’y installât.
    — Merci, Jordi, dit le médecin en soulevant avec délicatesse le pied malade.
    — Je suis étonné que vous sachiez qu’il s’agit de Jordi, fit l’évêque. Il se montre si discret qu’on pourrait imaginer qu’il n’existe pas.
    — Oh, Votre Excellence, ce n’est pas compliqué ! Tous les autres serviteurs ainsi que les pères Bernat et Francesc font du bruit, même s’il est infime. Mais voyons plutôt votre pied. Il est brûlant et l’extrémité doit en être très douloureuse. Vous n’auriez pas dû attendre si longtemps pour me faire venir. Je crains que vous ne soyez trop brave et trop obstiné.
    — Ne craignez rien, Isaac, mon ami, dites plutôt que je suis têtu. Mais j’ai tout de même fini par vous appeler, non ?
    — J’ai le remède, maître Isaac, lui chuchota Jordi. Quelle quantité dois-je verser ?
    — Une bonne cuillerée, Jordi, je t’en prie. Prépare également un emplâtre bien chaud pour réduire l’inflammation, ainsi qu’une bassine d’eau froide où tu auras au préalable versé les sels : cela devrait assouplir les articulations.
     
    Quand le traitement fut terminé et que l’évêque se sentit un peu mieux, il se