Le guérisseur et la mort
mien. Et voyons ce que l’on peut faire avant dîner. Par respect pour mon médecin, je travaillerai la première moitié de la journée, et pas un instant de plus.
Deux jours après, la cloche du portail sonna de manière si énergique qu’Isaac traversa la cour. Un vent perfide venu des montagnes avait franchi les murailles de la ville pour glacer chacun jusqu’aux os. Il frissonna.
— Qu’y a-t-il, Ibrahim ?
— Je viens de la part de Son Excellence, lança une jeune voix avant même que le portier eût le temps de répondre. Vous devez vous rendre immédiatement au palais, maître Isaac.
Isaac se rembrunit. Il avait quatre malades à visiter ce matin-là et il attendait le retour de Raquel pour se consacrer à ses patients.
— L’évêque exige votre présence, maître Isaac, insista le garçon dont la voix virait au suraigu.
Il réfléchit un instant avant de conclure que ses patients pouvaient bien attendre un peu.
— Va dire à Son Excellence que je serai au palais dès que j’aurai rassemblé quelques remèdes. Ibrahim, va chercher Yusuf, il doit être en train d’étudier.
Le médecin regagna la petite pièce bien ordonnée qui lui servait à la fois de cabinet et de laboratoire – de chambre à coucher, aussi, quand il revenait nuitamment après s’être rendu au chevet d’un malade. Il enfila une tunique plus chaude et mit sa cape tout en se demandant ce qui lui serait nécessaire pour ces cinq patients.
Yusuf arriva en bâillant.
— Vous vouliez me voir, seigneur ?
— Oui. Je pensais que j’allais t’interrompre dans tes études, pas dans ton sommeil.
— Je vous demande pardon, seigneur, mais je n’ai…
— Peu importe. Je sais ce dont nous aurons besoin. Range bien tout et couvre-toi, ajouta-t-il.
— Votre Excellence ne se sent pas bien ? dit Isaac. On m’a rapporté que votre santé s’améliorait d’heure en heure. J’espérais que c’était la vérité.
— C’est bien la vérité, oui, s’impatienta Berenguer. Je vais si bien que j’en suis arrivé à cette partie de mon travail que mon secrétaire juge sans importance.
— Pas sans importance, Votre Excellence, le corrigea Bernat. Sans urgence, simplement.
— Vraiment ? Vous ne trouvez pas importantes des menaces proférées à l’encontre de ma personne, de Sa Majesté et de ses représentants ?
— Si, Votre Excellence, mais qu’elles puissent être mises à exécution, c’est douteux, s’entêta Bernat.
— Vous voyez, Isaac, ils se révoltent tous, même Bernat. Au moindre signe de faiblesse, ils…
— Votre Excellence ! s’écria le secrétaire, horrifié.
Berenguer éclata de rire.
— Ah, cela fait si longtemps que je n’ai pas ri de bon cœur, Bernat aura oublié mon humour ! Non, mon bon père Bernat, redevenons sérieux : je serais plutôt de votre avis, mais je crois que nous ne pouvons garder cela par-devers nous. Si cette menace est bien réelle, nous ne pouvons l’ignorer.
— L’homme délirait, Votre Excellence. On comprenait à peine ce qu’il disait.
— C’est pourquoi j’ai envoyé quérir maître Isaac. Lui aussi l’a entendu. Isaac, j’ai sous les yeux le rapport du sergent. Tout de suite après l’avoir lu, Bernat, j’ai décidé que mon médecin pourrait nous aider s’il daignait ajouter sa science aux renseignements que le sergent nous a fournis.
— C’est possible, oui, dit le secrétaire dont la patience semblait mise à rude épreuve.
— En premier lieu, notre bon sergent Domingo déclare avoir décrit l’homme mort à Cruilles à l’aubergiste de Palamós, et celui-ci a aussitôt reconnu en lui l’un des deux individus venus passer une nuit dans son établissement. Apparemment, le mort se faisait appeler Joan.
— C’est exact, intervint Isaac. Quand je l’ai vu pour la première fois, il m’a dit que son nom était Joan Cristià. Mais il n’a pas goûté que je veuille savoir si c’était un converso pour se dénommer ainsi. Pourquoi, je l’ignore. Ce n’est pas un nom que l’on donne souvent à ceux nés dans votre foi, Votre Excellence. Hormis cela, qu’a donc découvert le sergent ?
— Bernat nous lira le reste.
— J’ai pris par deux fois connaissance de ce document, dit Bernat. Il serait plus simple que je vous en fasse un résumé. Le mort a quitté Palamós avec l’intention d’y revenir, apparemment. Il a en effet confié ses affaires au tenancier. Son ami les a récupérées
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