Le guérisseur et la mort
le mal de la jeune fille était évident.
Elle descendit pour le repas et ne prit quasiment rien. Elle était maigre. Elle ne parlait pas. Elle se comportait comme s’il n’existait pas.
Lucà alla seul à l’église sans cesser de penser à Regina.
Lundi 30 mars
— Où étiez-vous, papa ? demanda Raquel qui descendit dans la cour dès qu’elle entendit Isaac franchir le portail. Maman demandait après vous.
— Y a-t-il un problème ?
— Je ne crois pas.
Les cloches de la ville sonnèrent sexte, les interrompant dans leur conversation. De la cuisine s’élevait une odeur de viande braisée, signe que Naomi et Jacinta préparaient le dîner.
— Elle s’inquiète pour tout ces temps-ci, reprit Raquel.
— Elle est toujours ainsi quand elle vient d’avoir un enfant, expliqua Isaac, cela fait partie de sa nature. Elle aime savoir que chacun est bien à sa place. Mais asseyons-nous et prenons un rafraîchissement. Le soleil de mars est parfois aussi chaud que celui de juin quand nous avons peu de vent.
— Il y a sur la table un pichet de jus d’orange amère et de miel. Naomi pensait que vous auriez soif. Vous êtes allé loin ?
— Non, j’ai rendu visite à maître Mordecai. Nous avons parlé de l’herboriste. Il est l’objet de tous les commérages.
— Je l’ai vu ce matin, dit Yusuf, assis dans un coin de la cour et occupé à lire un petit livre relié de cuir. Pendant que je cueillais des plantes. J’ai eu l’impression qu’il me suivait partout et qu’il ramassait les mêmes choses que moi comme s’il voulait savoir ce que nous utilisons habituellement. Il parle beaucoup.
— De quoi ? lui demanda Raquel.
— De tout et de rien. Il m’a fait un cours sur les plantes qui poussent aux alentours de Gênes, leur utilité, celles qui peuvent être dangereuses. Ensuite il m’a demandé si l’on s’en servait, mais leur nom m’était inconnu : il a alors cherché autour de lui, mais il n’en a pas trouvé.
— Chaque plante porte diverses appellations, fit remarquer Isaac. C’est pourquoi il importe de bien les connaître et d’étudier les livres qui les décrivent avec précision si l’on ne veut pas commettre de graves erreurs.
— Il m’a proposé d’échanger diverses recettes, ajouta Yusuf. Selon lui, nous aurions tous deux à y gagner.
— Et tu as accepté ?
— Certainement pas. Je crois qu’il voulait vous voler vos secrets, seigneur, avant de vous prendre vos patients.
— Soigner les gens ne se résume pas à cueillir les plantes idoines, Yusuf, tu le sais bien. Si c’est un homme honnête, cela lui permettra d’aider autrui. S’il est animé par des désirs mauvais, cela pourrait agir à la façon d’un emplâtre, qui fait remonter le mal jusqu’à la tête d’où l’on pourra aisément l’extraire et l’éradiquer.
— En êtes-vous sûr, seigneur ? On m’a raconté qu’il rendait déjà visite à certains de vos patients.
— Crains-tu que je ne sois pas assez occupé ? Il me semble que nous avons plus de travail que nous ne pouvons en abattre.
— C’est vrai, seigneur, reconnut Yusuf que cela n’empêcha pas d’insister. Il a proposé de vous vendre, oui, à vous seigneur, un tonique médicinal qu’il détient. Il m’a expliqué que cela sentait les herbes amères et que, le temps de faire bouillir une marmite, celui qui le buvait se sentait déjà mieux. Peu importe la maladie dont il souffre, a-t-il ajouté.
— Tu viens de me donner une idée. Notre estimé voisin, Mordecai, se sent las et d’une certaine façon indisposé. Je crois que je vais lui demander de faire venir son parent, le jeune Lucà, et le supplier de lui donner de sa mixture miraculeuse. Peut-être se sentira-t-il mieux.
— Maître Mordecai, papa ? s’étonna Raquel. Mais je l’ai vu hier qui marchait d’un bon pas vers la porte de la ville. Comment peut-il être malade ?
— Crois-moi, ma chérie, si je dis qu’il est souffrant, c’est qu’il l’est. À présent je dois lui parler. Raquel, préviens ta mère que je ne serai absent que quelques instants. Le fumet du dîner ne peut que me ramener à la maison.
— Feindre la maladie ? Mon bon ami Isaac, tout ce que vous voudrez, mais pas ça. C’est impossible.
— Je me rappelle une certaine personne qui avait fait une proposition… sans poser de question.
— Il s’agissait d’argent, Isaac, ou de quelque autre soulagement matériel que je pouvais
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