Le guérisseur et la mort
ouverte. Un couloir sombre donnait sur une cour ensoleillée.
— ¡ H ola ! cria Maimó. Maîtresse Perla, êtes-vous là ?
— Où pourrais-je être à une heure aussi matinale ? demanda une voix sur un ton si léger qu’on n’y décelait nul courroux.
— Pour un vieil ami, il n’est jamais trop tôt, dit Maimó en s’engageant dans le couloir.
Daniel regarda ses bottes encore humides et le suivit.
Arrivé dans la cour, Maimó se retourna vers le jeune homme.
— Je vous ai amené un ami qui souhaite ardemment vous être présenté, maîtresse Perla. Daniel ben Mossé.
— Maimó, comment pouvez-vous me laisser raconter des bêtises sans me dire que nous avons un invité – un véritable invité, veux-je dire, et pas un vieil ami habitué à arriver à n’importe quel moment ? Soyez le bienvenu, maître Daniel.
Elle lui sourit comme si sa venue suffisait à égayer sa journée.
— Maîtresse Perla, je suis enchanté de faire votre connaissance, dit-il en s’inclinant.
Il ne put manquer de s’étonner quand il se redressa. Il s’attendait à voir une vieille dame et pas cette femme dont le visage charmant devait faire tourner encore bien des têtes.
— Je vous apporte le salut d’un ami de Gérone.
— De qui s’agit-il ? demanda-t-elle alors que le sourire s’effaçait de ses lèvres.
— Maître Mordecai ben Aaron, qui se rappelle à votre mémoire.
Le sourire revint.
— C’est très aimable de sa part. J’ai de lui les meilleurs souvenirs. Resterez-vous un instant ?
— Cela nous est impossible, dit Maimó, mais je sais que maître Daniel aimerait vous revoir pour parler plus longuement, si cela vous est possible, bien entendu.
— Mais naturellement, j’en serais ravie.
— Je crois qu’il a beaucoup à dire sur Gérone et sur votre famille, ajouta-t-il avec une emphase que Daniel jugea de mauvais augure.
— Vraiment ? s’étonna Perla. Dans ce cas, j’espère que ma mémoire ne me trahira pas.
C’est seulement le samedi matin que l’évêque de Gérone eut le loisir de s’intéresser à nouveau aux agissements du jeune Lucà et au décès de maître Narcís. Ce retard n’avait pas amélioré son humeur, l’on s’en doute.
— Bernat, je veux voir cet herboriste et savoir ce qu’il fait. Envoyez-le chercher.
— Tout de suite, Votre Excellence ? demanda son secrétaire.
— Oui, sur-le-champ.
Avant même que Berenguer eût le temps de lire un document dans son intégralité, un jeune homme essoufflé fut introduit dans la pièce.
— Votre Excellence, dit-il en s’inclinant respectueusement.
— Vous êtes Lucà, l’herboriste ?
— Soi-même, Votre Excellence.
Il chercha un siège du regard et, n’en voyant aucun à sa portée, se résolut à rester debout, mal à l’aise.
— C’est vous qui avez soigné le riche Narcís Bellfont.
— Oui, Votre Excellence.
— J’aimerais vous poser une ou deux questions relatives à la mort de ce bon maître Narcís.
— Je suis à l’entière disposition de Votre Excellence, dit Lucà, paralysé.
— Bien. En premier lieu, de quoi souffrait-il ?
Lucà se détendit.
— De crampes douloureuses dans les jambes et le dos, Votre Excellence, répondit-il, sûr de lui.
— Et que lui avez-vous donné ? Pour les crampes.
— Une préparation, Votre Excellence. Elle contenait en dose infime un ingrédient connu pour assouplir les muscles et ralentir leurs mouvements. Pas plus d’une goutte ou deux pour une fiole entière.
— Et quoi d’autre ?
— De l’écorce de saule et du jus de pavot contre la douleur, encore une fois pour détendre les muscles, ainsi que du miel et du vin pour que le goût n’en soit pas trop amer. C’est sans le moindre danger, Votre Excellence, sauf si ce mélange est absorbé en trop grande quantité, et j’ai prévenu maître Narcís de ne surtout pas dépasser la dose prescrite.
— Je vois, dit Berenguer. Et qu’y avait-il dans le second médicament ?
— Le second ? s’étonna le jeune homme. Mais de quel remède parlez-vous, Votre Excellence ? Je ne lui en ai donné qu’un, celui destiné à combattre la douleur.
— En êtes-vous certain ? J’ai cru entendre le contraire.
— Mais oui. Je lui en ai donné un flacon la première fois que je l’ai vu, dit-il en haussant le ton. C’était le dimanche de Pâques. Un demi-gobelet, trois fois par jour. Il y en avait assez pour trois jours. Et je lui en ai
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