Le guérisseur et la mort
inconvénients, lança-t-il d’un air narquois. J’opterais pour une autre si le choix m’était donné.
— Saviez-vous qu’il allait tirer un certain bénéfice de ce décès ?
— Oui, on me l’a dit. En toute confidence, bien sûr. Auriez-vous l’intention de me faire prendre le même médicament ?
— Mais non ! Je veux seulement que vous le lui demandiez, ce qui est normal puisque vous en connaissez les bienfaits. S’il est d’accord pour vous en donner, j’aurai besoin de la totalité du flacon pour découvrir quels en sont les ingrédients. Pensez-vous pouvoir m’aider ?
— Ce jeune homme ayant déclaré à qui veut l’entendre que je suis son parent, je crains de devoir vous obliger, ne fût-ce que pour sauver l’honneur de ma famille. Discrètement, j’ai déjà fait savoir à des clients que je suis disponible en ce moment, mais que je pourrais être amené à voyager en début de semaine prochaine. Vendredi, à l’heure du dîner, me semble le moment propice pour tomber malade. Cela répond-il à vos espérances ?
— L’instant est bien choisi, maître Mordecai, dit Isaac après un silence lourd de sens. Mais les événements se précipitent.
— C’est ce que je vois. Accordez-moi encore un délai de réflexion. Bientôt je vous confierai ce que j’ai décidé.
L’après-midi touchait à sa fin. Isaac et Yusuf regagnaient la maison alors que le temps se rafraîchissait. Au bruit des pas de son maître dans la cour, Ibrahim déposa son balai à côté de la fontaine et se dirigea vers eux.
— Quelqu’un vous attend dans la pièce commune, maître Isaac. Il est là depuis au moins une heure.
— Qui est-ce, Ibrahim ?
— Je ne sais pas, maître Isaac. Il n’a rien dit. La maîtresse était endormie et maîtresse Raquel travaillait dans sa chambre, et je n’ai pas voulu les déranger.
— Merci, Ibrahim. Demande à la cuisine si on lui a apporté quelque chose.
— Oui, maître, murmura-t-il en s’éloignant lentement.
— Il vaudrait mieux que tu restes auprès de moi, Yusuf, dit Isaac. Peut-être est-ce un malade, j’aurais alors besoin de ton assistance.
Quand Isaac entra dans la salle commune, celle-ci semblait privée de toute vie. Les jumeaux et Judith en étaient absents, à l’évidence, car même lorsqu’ils s’activaient en silence, on percevait des bruissements d’étoffe réconfortants. Au lieu d’entendre ces bruits familiers, il perçut une odeur étrange – pas celle d’un être humain, non, plutôt celle d’herbes séchant dans un grenier.
Puis il entendit craquer la chaise installée près du feu et le visiteur se lever. Ce n’est pas un malade, songea Isaac, ni un blessé.
— Pardonnez-moi, maître Isaac, de forcer votre demeure, dit une voix jeune et agréable, aux inimitables intonations majorquines.
— Soyez le bienvenu, maître Lucà, car vous êtes bien maître Lucà, n’est-ce pas ?
— Effectivement, mais je m’étonne que vous le sachiez, car je n’ai…
— Votre façon de parler est très particulière et l’on s’en souvient aisément. Dites-moi ce qui vous conduit chez moi. Vous a-t-on offert un rafraîchissement ?
Il avait à peine achevé sa phrase que Jacinta entra dans la pièce et, sans prêter la moindre attention au visiteur, déposa un plateau sur la table placée le long du mur. Elle versa une boisson à base de menthe et de citron dans trois gobelets, puis elle en tendit un à son maître, un à Lucà et un autre à Yusuf, qui demeurait debout près de la porte. Après avoir mis sur une autre table une coupelle pleine d’olives et une autre de noix, elle lança un rapide coup d’œil à Lucà et s’en alla.
— Je suis venu vous voir parce que je me trouve dans une situation délicate, dit l’herboriste. Mon cousin, Mordecai, m’a fait venir cet après-midi, juste après dîner, parce qu’il avait la gorge irritée et souffrait terriblement des articulations. Je sais que vous vous occupez d’habitude de lui et, bien que je lui aie prescrit un remède destiné à atténuer ces symptômes, j’ai pensé que vous deviez être mis au courant.
— Je vous remercie de votre discrétion et de votre tact, maître Lucà, dit Isaac, mais si maître Mordecai souhaite être soigné par son parent, il est libre de le faire. Je vous assure que vous n’avez pas à vous inquiéter à ce propos.
La chaise de Lucà grinça à nouveau, mais il ne répondit rien.
— Y a-t-il autre
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