Le guérisseur et la mort
que Mordecai vous a envoyé si loin de chez vous ? Pour me demander à quoi ressemblait mon petit-fils ?
— Le Rubèn de Gérone s’est présenté à maître Mordecai comme le fils de Faneta, donc le cousin de maître Mordecai. Comme s’il faisait partie de sa famille.
— Pouvez-vous me le décrire ? murmura-t-elle.
Une expression d’horreur déforma son visage et elle leva les mains comme pour repousser un ennemi.
— De petite taille, la peau claire, les cheveux blonds, dit Daniel.
— Le Seigneur soit remercié !
— Pourquoi dites-vous ça ?
— Parce que j’ai vu mon petit-fils couché dans son cercueil. J’ai pleuré sur son pauvre corps avant qu’on le mette en terre. Je n’aimerais pas m’éveiller en pleine nuit et craindre que son esprit erre lamentablement. Si ce Rubèn est tel que vous me le décrivez, ce n’est pas un parent à moi ni à Mordecai.
— Il est bien tel que je vous le dis. J’ai chevauché à ses côtés de Gérone à Sant Feliu de Guíxols.
— De quelle façon s’exprimait-il ?
— Comme tous ceux que j’ai entendus dans cette ville, maîtresse.
Perla leva la tête en entendant un objet tomber quelque part dans la maison, puis elle se ressaisit.
— Un garnement a emprunté le nom de Rubèn pour aller à Gérone et y trouver de l’argent, murmura-t-elle. Dites à Mordecai de ne rien lui donner. Dites-lui… non, cela suffira.
— L’argent n’est pas le problème pour l’instant, maîtresse.
— Quel est-il alors ?
— Ce Rubèn s’est enfui alors que nous étions à Sant Feliu de Guíxols, je pense qu’il craignait que l’on découvrît son imposture.
— Dans ce cas, il n’y a plus de problème.
— Si. Un autre jeune homme est apparu, se faisant lui aussi passer pour le fils de Faneta, mais, d’après ses dires, votre fille se serait convertie par peur des brimades et elle l’aurait élevé comme un chrétien.
— Ma Faneta ? cracha-t-elle avec mépris. Elle ne se serait jamais convertie. Son mari n’a pas réussi à la soumettre et pourtant il la battait, son beau-père n’y est pas non plus parvenu avec son argent et ses menaces. Pourquoi s’inclinerait-elle devant la populace ? Après la vie de souffrances qu’elle avait menée une fois partie de la maison pour se marier, elle m’avait assuré qu’elle ne redoutait en rien la mort. Elle ne s’est pas convertie, soyez-en convaincu. Et elle n’a pas fait de Rubèn un converso.
— Vous ne voyez pas qui pourraient être ces imposteurs ? lui demanda Daniel.
— Excusez-moi, maîtresse, dit une voix derrière Daniel.
Il se retourna et vit une femme aux mains rougies par le travail. À côté d’elle, un garçon de huit ou neuf ans tirait un panier de linge.
— Oui, Sara ?
— Je peux faire sécher les draps dans la cour ?
Perla lança un regard oblique à son hôte, qui fit mine de se lever.
— Bien sûr, dit Perla. Y a-t-il autre chose, maître Daniel ? Je serais heureuse de répondre à vos questions, mais pour l’instant…
De la main, elle indiqua la femme et l’enfant qui s’affairaient.
— Je resterai à Majorque jusqu’à vendredi matin, dit Daniel. Je vais réfléchir à ce que je viens d’apprendre et, si j’en éprouve le besoin, pourrais-je revenir ?
— Bien entendu. J’aurai plaisir à vous revoir. L’après-midi nous conviendrait mieux à tous deux.
— Je reviendrai donc demain ou le jour d’après, dans l’après-midi. Merci, maîtresse Perla, vous avez été très aimable.
Dès que la porte de la maison se fut refermée, Daniel se rendit compte qu’elle n’avait pas répondu à sa dernière question, celle concernant les imposteurs. Il se retourna et se prépara à frapper à l’huis. Mais il avait déjà troublé la vie paisible de maîtresse Perla et on l’attendait à l’entrepôt. La réponse pourrait bien attendre jusqu’au lendemain. Il s’engagea donc dans la rue à la recherche du bâtiment ou de quelqu’un qui pût le renseigner.
Quelque part, derrière lui, une lourde porte s’ouvrit et se referma aussitôt. Il tourna la tête et entrevit un gamin qui partait en courant dans la direction opposée, tout joyeux, songea Daniel avec nostalgie, à l’idée de s’élancer dans le soleil et le vent.
XII
Caent en man d’enemics tan mortals Tombant entre les mains d’ennemis si dangereux
Sans réfléchir, Daniel avait pris à droite et s’était éloigné de la demeure de maître Maimó.
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