Le Hors Venu
pourquoi, que c’est la même main qui a tué l’eunuque et le garde.
— Les sentiments ne m’intéressent pas, Simon, je veux des faits ! Autre chose ?
Dois-je prévenir le maître justicier de ce qui se passe ici ?
— Je le ferai moi-même. Ah ! Une dernière chose, renseigne-toi sur le fityan qui a été tué. Y avait-il des raisons à sa mort ? S’était-il querellé avec un autre ? Il ne faut négliger aucune piste. La mort de celui-là éclaire peut-être l’autre.
Simon s’inclina.
— Retire-toi maintenant.
Le maître capitaine sorti, le silence retomba dans la grande pièce. Maion de Bari se leva et alla à une table sur laquelle étaient posés le vélin trouvé près du cadavre et le manteau d’apparat en lambeaux. En homme qui n’a confiance qu’en lui-même, l’émir avait donné ordre que personne ne lise le message rédigé en arabe. Pour la dixième fois peut-être, il parcourut la phrase :
La déclaration était claire, c’était au royaume de Sicile qu’on en voulait et à Guillaume I er . Mais qui et pourquoi ? Les ennemis étaient innombrables : Byzantins, Germains, barons normands... Et pourtant aucun d’entre eux, Maion en aurait juré, n’aurait procédé de cette façon ni rédigé un tel message, encore moins en arabe. Et si c’était une vengeance préparée par les musulmans ? Une réponse au désarmement de la Kalsa ?
Fort heureusement, la cape de couronnement des rois normands et la couronne, ces emblèmes qui avaient servi à Roger I er et à son descendant, étaient, la première conservée dans une pièce spéciale au tiraz , et la seconde au Trésor. L’homme n’y avait pas eu accès...
Quoique... L’une des victimes était un eunuque et il devait, comme les autres membres de la puissante caste, posséder les clés de l’atelier de tissage. Il n’avait pas demandé à Simon si le mort possédait toujours son trousseau. Il faudrait qu’il le fasse. Cela lui remit en mémoire que le caïd Pierre, le représentant des eunuques, avait déjà demandé audience. Il allait falloir calmer ce haut personnage, puis le convaincre de rester tranquille en attendant que l’enquête s’achève. « Pourquoi un eunuque ? » se répéta-t-il. Les questions tournoyaient dans son esprit sans qu’il puisse y trouver réponse. Il y réfléchissait encore, quand Gaetano lui annonça l’arrivée du chevalier Bartolomeo d’Avellino.
— Qu’il entre ! ordonna-t-il.
LA SECTE DES ASSASSINS
17
Bartolomeo d’Avellino s’inclina devant l’émir. Celui-ci ne lui proposa pas de s’asseoir et remarqua :
— On m’a dit que tu venais souvent au palais depuis ton retour, pourtant je ne t’ai guère vu.
Ce « on » était le très efficace service de renseignements de l’émir, service que rétribuait aussi d’Avellino, ce qui lui permit de répondre avec assurance :
— Vous aviez donné ordre qu’on ne vous dérange sous aucun prétexte, Excellence, et je n’ai pas cru qu’il fallait désobéir à cette consigne que même vos familiers respectaient. Et puis, avec les émeutes de la Kalsa, j’ai pensé que vous aviez fort à faire. Hier, Gaetano m’a informé que vous receviez à nouveau et je suis heureux de venir vous saluer.
— J’aime ton éloquence, d’Avellino... Même si parfois je me dis qu’elle te conduira au cachot... ou à l’échafaud.
— Que cela soit le plus tard possible alors, répondit Bartolomeo en s’inclinant. Vos gens auraient dû vous dire que si j’ai fait d’autres visites, ce n’était que dans le but de vous servir.
— Je n’en crois rien, Bartolomeo. Si j’avais confiance en d’autres que moi-même, il y a longtemps que je serais mort. Et malgré cela, ma vie est en danger.
— Qui n’est pas en danger de perdre la sienne ? rétorqua d’Avellino. Seuls les dieux et les fous se croient immortels.
Puis, plus gravement :
— J’ai appris ce qui s’était passé alors que j’étais en Normandie {4} .
— Assieds-toi ! ordonna Maion en désignant un siège à côté du sien. Et parlons du présent, veux-tu ? Qu’as-tu à m’apprendre hormis le retour d’Hugues de Tarse et de son protégé ? À ce propos, merci de ton message, je l’ai transmis à notre reine qui te sait gré de tes recherches.
— En ces temps troublés, il était de mon devoir de vous prévenir de l’arrivée d’un nouveau prétendant au trône, ô émir des émirs.
— Il est surtout vrai
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