Le Hors Venu
que personne n’avait rien remarqué d’anormal. Pas même les victimes sans doute, vu la façon dont elles avaient été tuées. Le criminel aurait pu tout aussi bien être un djinn. « Ce qu’il était peut-être »... songea Simon qui consultait chaque jour l’astrologue de la cour et croyait en ces êtres surnaturels ni mauvais ni bons, mais aux actes et aux décisions toujours lourds de conséquences pour ceux qu’ils rencontraient.
— Nous allons le trouver, ô émir des émirs, protesta l’un des sergents.
Un jeune Normand arrivé depuis peu à la cour de Sicile, à qui ses supérieurs n’avaient pas eu encore le temps d’enseigner les rudiments d’une élémentaire prudence.
A cette sortie, l’émir l’attrapa par le col et l’apostropha :
— Parce que tu sais, toi, que c’est un homme ? gronda-t-il. Et pourquoi pas plusieurs ? Que sais-tu de ce qui se trame ici ? Étais-tu à mes côtés quand on a essayé de m’assassiner ?
La fureur de Maion était telle que son teint avait viré au gris, ses yeux étincelaient.
— Nous ne savons rien encore, ô émir des émirs, intervint Simon, autant par pitié pour le jeune homme que parce qu’il fallait qu’il prouve à ses subordonnés qu’il ne craignait pas Maion. Mais nous allons trouver le coupable, je vous en fais serment, et je vous porterai moi-même sa tête dans un panier.
Maion relâcha le sergent et se tourna vers son beau-frère :
— Méfie-toi des promesses, Simon. J’ai tendance à vouloir qu’elles soient tenues. Ensuite, sache que si tu trouves le meurtrier, je le veux vivant ! Tu entends ? Vivant !
Il marqua une pause, le souffle court, puis reprit :
— Explique-moi comment on peut assassiner impunément nos gens en plein palais ?
Devant le mutisme de son beau-frère, Maion poursuivit :
— Tu ne l’expliques pas, et eux non plus, et c’est bien le problème !
Son accès de rage était passé, la réflexion venait. Maion retourna s’asseoir sur sa haute chaise près de la fenêtre. Son regard passa de son jeu d’eschets aux toits de la ville puis au port où les navires évitaient sur leurs ancres, lui rappelant l’arrivée imminente de la flotte royale.
— Allez, allez, fit-il en chassant tout le monde d’un geste impatient de la main. Reste, Simon !
Les officiers s’inclinèrent et sortirent. Simon rejeta les plis de sa longue cape galonnée d’argent sur ses épaules et prit place sur le siège que lui désignait l’émir. Quelques instants après que Maion eut tiré sur un cordon fixé au mur, Gaetano apparut. Le jeune page salua son maître puis attendit ses ordres sans mot dire. Encore une chose que l’émir appréciait chez lui, cette faculté qu’il avait de se taire, aussi rare chez les pages que chez les femmes.
— Sais-tu où est d’Avellino ?
— Je l’ai vu arriver dans la cour d’honneur, répondit Gaetano.
— Alors, cours me le chercher !
— Bien, ô émir des émirs.
Maion se tourna vers son beau-frère.
— As-tu ordonné la fouille du tiraz et du harem ? fit-il en saisissant l’éléphant, sa pièce d’eschets favorite.
— Je vais m’en charger avec le caïd Pierre.
— Tu sais la confiance que je te porte, remarqua Maion.
— Et je ferai tout pour en rester digne.
— Bientôt, le roi sera là. Il y a fort peu de chances de trouver le coupable avant son arrivée, mais je compte sur toi pour que toutes les issues soient gardées et les patrouilles doublées. Il y va de ta vie.
— J’ai déjà fait ce que vous m’ordonnez. De plus, j’ai appelé en renfort des hommes de la Légion arabe, qui assurent d’ores et déjà la sécurité de la reine et de ses familiers ainsi que celle de la Dohana et du Trésor. Par ailleurs, j’ai prévenu Grimoald, afin qu’il examine les cadavres. Peut-être, grâce à lui, en saurons-nous davantage sur ce qui s’est passé et sur celui qui a tué.
— Tu penses qu’il était seul ?
Le soldat prit le temps de réfléchir, exprimer sa pensée lui demandait un effort. Il aimait retourner longtemps dans sa tête ce qu’il devait dire.
— Il paraît impossible d’arriver ici sans aide. Les patrouilles sont trop nombreuses, surtout depuis les derniers événements... À moins d’être quelque démon.
— Je ne crois pas aux démons autres que ceux que nous portons en nous-mêmes ! affirma Maion. Continue.
— Par contre, j’ai le sentiment, mais je ne peux encore vous dire
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