Le Hors Venu
et... l’unique chrétien à avoir rencontré le Vieux de la Montagne dans son fief d’Alamut.
— Voilà qui est étrange.
— Je l’attendais à Ispahan, reprit Bartolomeo, et quand il est revenu de là-bas, il n’était plus le même.
— Pourquoi ces Assassins seraient-ils en Sicile ? Cela pourrait-il être lié aux émeutes de la Kalsa ?
— Je ne crois pas, car les musulmans sont leurs ennemis... À moins que vos hommes n’aient détruit sans le savoir une de leurs îles et qu’ils aient décidé de se venger. Il serait possible aussi que le Vieux ait conclu une alliance politique, et qu’il ait monnayé les services de ses fidâ’î.
En bon joueur d’eschets, Maion, qui détestait qu’on réfléchisse à sa place ou qu’on lui suggère des solutions, fit un geste agacé de la main. Le temps pressait, le roi allait arriver. Il fallait savoir de quoi il retournait, et vite.
— J’ai horreur des suppositions, d’Avellino. Préviens Al-Idrisi que je désire le voir sur-le-champ. Va avec Simon et une patrouille à la Kalsa. S’il y a une île, trouve-la ! ordonna-t-il.
18
La venue de Guillaume I er était imminente et la reine avait donné l’ordre de pavoiser la ville et les remparts où flottaient maintenant les étendards pourpre et or chers au roi normand. Vue de l’extérieur, Palerme avait revêtu ses habits de fête, pourtant, pour un observateur exercé comme l’était Hugues de Tarse, quelque chose n’allait pas.
L’Oriental avait mis son cheval au pas et, depuis un moment, observait la foule qui se pressait devant Bab al-Abna, la porte des Édifices. L’agitation y était ! anormale, comme si l’entrée dans la ville était ralentie. Les gardes étaient trop nombreux et surtout ils avaient échangé leurs traditionnels gourdins contre des masses d’armes et des haches. Enfin, en repli derrière eux, apparaissaient les silhouettes toutes de noir vêtues des cavaliers de la Légion arabe. Coiffés de leurs turbans, armés de cimeterres et d’arcs, ces soldats d’élite musulmans, fer de lance de l’armée des rois normands, semblaient prêts à intervenir.
Or la Légion n’avait rien à faire aux portes de Palerme, songea Hugues, sauf en cas de siège ou de guerre civile. r
Il talonna sa monture, ordonnant à Tancrède de le suivre. Évitant des fardiers de pierres tirés par des bœufs qui venaient en sens inverse, ils dépassèrent ! Bab al-Sudan, la porte des Noirs, puis Bab al-Hadid, la porte de Fer... Tancrède, qui jusque-là avait été trop fasciné par la découverte de Palerme pour percevoir la tension qui régnait à ses abords, finit par demander :
— Pourquoi ne pas pénétrer dans l’enceinte ? Où nous menez-vous ?
— Patience, patience, fut la seule réponse qu’il obtint de son compagnon qui tourna le dos à la ville et fila par la via Centorbi.
Sur les routes, un flot de chariots, de piétons et de cavaliers se croisaient en s’apostrophant, refluant d’une porte à une autre. Les marchands dont les paniers, les sacs de toile et les cagettes d’œufs, de fruits et de légumes restaient en plein soleil levaient les mains au ciel en se lamentant ou en lançant des imprécations. Hugues entraîna son jeune ami jusqu’au fleuve de l’Amiral dans lequel ils firent boire leurs bêtes. Le Gréco-Syrien voulait se laisser le temps de réfléchir et Tancrède sentit qu’il valait mieux s’abstenir de lui poser des questions.
Ils étaient à côté d’un pont dont l’arche de pierre surplombait l’eau verte. Des gamins se jetaient du parapet pour quelques sous. Ils remontaient à la surface sous les acclamations de la populace, la pièce entre les dents, le corps couvert de vase et de lentilles d’eau.
— Le pont de l’Amiral, murmura Hugues plus pour lui-même que pour son protégé. Je l’ai vu construire.
— L’amiral Georges d’Antioche ? demanda Tancrède.
— Oui. Georges a aussi fait construire une des plus belles églises de Palerme, dédiée à la Vierge. Je vous y mènerai... C’était un bâtisseur dans l’âme...
La voix d’Hugues s’éteignit, et Tancrède réalisa soudain quel poids avait pu être pour lui ces seize ans passés à des milliers de lieues de la Sicile à garder un enfant qui n’était pas le sien. D’ailleurs, le jeune homme peinait à imaginer pourquoi son père, le duc de Pouilles, avait demandé un tel sacrifice à son frère d’armes. Pourquoi l’emmener jusqu’en
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