Le Hors Venu
répondre, que je me suis douté qu’il était arrivé quelque chose d’anorm...
— Je me souviens de la suite, le coupa le capitaine. Se pourrait-il que le geôlier disparu soit complice de cette évasion ?
— Tout est possible, capitaine, mais je ne le crois pas. C’était un homme sûr.
— Il est donc entré ici avec sa civière, a constaté la mort du prisonnier, le sang bruni sur la pointe semble le prouver, a défait les chaînes et... s’est volatilisé avec notre détenu.
Simon s’agenouilla au bord de la trappe.
— Comment expliques-tu l’existence de ce passage dans un de nos cachots ?
Il glissa la lance par l’ouverture, mais ne rencontra pas d’obstacles.
— Je me suis renseigné, Votre Honneur, cela mène aux qanats. Les conduits d’eau souterrains. En certains endroits, deux hommes sur les épaules l’un de l’autre n’en toucheraient pas la voûte. À l’origine, cette trappe était l’un des regards permettant aux muqannis , les puisatiers qui s’occupent de l’entretien du réseau, de descendre vérifier si les canalisations sont en bon état.
— Mais pourquoi dans ce cachot ?
— L’an dernier encore, cette pièce était une salle des gardes. C’est à cause du nombre de prisonniers de plus en plus élevé qu’elle a été transformée en cellule. Sans doute, la paille qui recouvrait en permanence les dalles a-t-elle fait oublier à nos hommes la présence du regard.
— Le réseau souterrain... marmonna Simon. Où mène ce passage ?
— Je l’ignore encore, mais j’ai demandé aux gens des qanats de venir. Je les attends d’un moment à l’autre.
— Il nous faudra placer des soldats devant chaque regard donnant dans le palais. Maintenant, le plus important. Qui est celui qui s’est enfui ?
Simon ne pouvait s’empêcher de penser à une terrible coïncidence entre les crimes du palais et la mystérieuse évasion.
Le sergent hésitait à répondre.
— Tu as des registres, insista le maître capitaine, ne comprenant pas sa réticence. Parle, qui était cet homme ?
— Je ne sais pas, capitaine, confessa l’autre, personne ne le sait.
— Comment ça, personne ne le sait !
— Depuis la fin de l’année dernière, expliqua le sergent, il y a eu tant de gens menés ici que nous ne savons si c’est un des barons rebelles, un musulman, un chevalier des Pouilles ou bien un ancien familier du roi comme l’archidiacre de Catane.
— Si tu veux rester en vie, tu vas retrouver son identité. Fais-moi l’inventaire de tous les détenus encore vivants. Recense les entrées que vous avez eues et les morts que vous avez jetés au charnier. Je veux les noms de ceux qui sont en salle de torture. Je veux ces listes. Tu entends ?
Le sergent s’inclina, il était blême.
— Et vérifie toutes les cellules, il est hors de question que d’autres évasions se produisent. Ah ! Et dis aux gens des qanats qu’ils nous apportent les plans du réseau souterrain.
Le maître capitaine se retrouva dehors et soupira, épongeant son front en sueur du revers de sa manche. Il devait partir avec d’Avellino et une escorte armée fouiller la Kalsa pour trouver des hérétiques, ce qui ne l’enchantait guère, étant donné l’ambiance tendue qui régnait encore dans le quartier musulman.
Et maintenant, il y avait cet évadé. Comment allait-il annoncer tout cela à Maion de Bari ? Et surtout, comment lui faire admettre qu’on ignorait l’identité du fugitif ? Le pire ennemi est celui que l’on ne connaît pas, disait souvent l’émir des émirs. Simon décida d’attendre un peu, espérant malgré tout que les listes de prisonniers lui donneraient la réponse qu’il cherchait.
AU CŒUR DE LA KALSA
20
Tancrède d’Anaor avait poussé son destrier devant celui de son maître. Des colporteurs, des colis et des paniers en équilibre sur le crâne, le précédaient. Il leva la tête vers les lourdes portes de fer, conscient de leur poids et de la force que dégageaient les remparts. Depuis qu’il était en Sicile mais ici plus qu’ailleurs, il avait l’impression de marcher dans les pas de son père, le duc de Pouilles. Il pénétrait dans la ville où il avait vécu et où il était mort. Il l’imaginait beau comme un dieu, passant cette entrée avec ses chevaliers, acclamé par la foule... Il se redressa sur sa selle et, le cœur battant, se présenta à son tour devant le garde qui lui fit signe d’avancer sans même le
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