Le Hors Venu
vantail de bois où étaient sculptés deux lions s’affrontant surmontés d’un dais de feuilles de palmier.
— Non, seigneur.
Simon hésita puis, allant à la porte, il frappa avec force. Il n’y eut aucune réponse. Depuis la tentative d’assassinat contre sa personne, Maion de Bari, délaissant son palais, s’était installé dans ces appartements de la tour Pisane et n’en sortait que pour voir la reine Marguerite ou assister à des conseils restreints avec ses familiers : le camérier palatin Adénolf et le chambellan Matthieu d’Ajello, un ancien notaire.
Après un second essai infructueux, l’officier fit demi-tour, l’air plus préoccupé encore que lorsqu’il était arrivé. Il aurait voulu demander des explications sur les consignes qu’on venait de lui transmettre et qui concernaient la communauté musulmane. Des ordres qui allaient mettre Palerme à feu et à sang, qu’il exécuterait en bon officier, mais qu’il aurait aimé comprendre.
Simon s’éloigna. Les gardes avaient repris leur position. La jeune recrue ne disait mot, pâle et raide, le poing serré autour du bois de sa lance.
7
L’émir des émirs, vêtu d’un somptueux burnous brodé d’or, pieds nus dans des babouches, s’était immobilisé en entendant frapper. Les sons étaient étouffés par l’épaisseur du bois et le seul bruit qui lui parvenait haut et fort était celui des battements de son cœur. Il porta la main à la garde du poignard glissé à sa ceinture puis, alors que son visiteur renonçait, la laissa retomber.
Maion de Bari essuya son front en sueur. La peur d’être assassiné n’était pas celle de mourir. C’est une chose d’avoir des ennemis à affronter, une autre de savoir qu’on risque d’être tué à tout instant par le fer, le poison ou la trahison des siens. Il avait une conscience profonde, palpable, de la haine et de l’envie qu’éprouvaient les barons normands. Tant que le roi n’était pas de retour, une nouvelle tentative d’assassinat était probable, voire certaine. Bien sûr, la première fois, Dieu l’avait sauvé, mais le ferait-il encore ? Les coupables étaient morts, il avait rempli les prisons de ses ennemis et même de ceux qui auraient pu le devenir. Pourtant le danger était comme l’hydre de Lerne : plus il coupait de têtes, plus il avait l’impression qu’il en poussait.
Maion se plaça devant la haute fenêtre d’où il pouvait apercevoir les contreforts du mont Pellegrino et la mer. Caressant sa courte barbe brune, il scruta longuement l’horizon, cherchant en vain à apercevoir les voiles de l’esnèque royale et de son escorte. Ce n’était pas tant la venue du roi qu’il espérait que la nouvelle d’un concordat avec le pape Adrien IV. Sans cette reconnaissance du souverain pontife, le royaume normand de Sicile disparaîtrait aussi inéluctablement que ses places fortes africaines. Ils avaient atteint la limite dangereuse où leurs ennemis étaient plus nombreux et plus puissants que leurs alliés.
Pour la première fois de sa vie, lui qui jamais ne regardait en arrière, songea que les temps meilleurs étaient derrière lui. Il se remémora la boutique de son père, négociant en huiles à Bari, puis sa venue en Sicile, sa première rencontre avec Roger II, sa nomination à la tête de la chancellerie... Il y avait cinq ans déjà et depuis il avait parcouru bien du chemin. Roger, le « grand roi », ainsi qu’on l’appelait, était mort, Guillaume I er , son fils, l’avait nommé émir des émirs. Il était devenu l’homme le plus puissant de Sicile... et le plus haï.
Au loin retentit l’appel à la prière provenant de l’une des mosquées de la ville puis, presque simultanément, les cloches de San Giovanni degli Eremiti et des autres églises se mirent en branle. Malgré la violence de ces derniers mois, malgré les rumeurs de guerre et les tensions de toutes sortes, Palerme continuait à vivre. Grecs, Arabes, chrétiens et Hébreux se croisaient dans ses ruelles, son port et ses marchés. Pourtant Maion ne décolérait pas, non contre Robert II de Loritello et les barons rebelles, mais contre son aveuglement.
Il se laissa tomber sur l’un des sièges cathèdres recouverts de coussins, jouant avec la chaîne d’or qui pendait à son col. Sur une table basse, à côté de lui, était posé son jeu d’eschets. Un jeu noir et blanc, au damier et aux pièces de cèdre et d’ivoire, qui lui avait été offert par son
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